Les deux Centrafrique

Dans ce pays, le Défap est en lien avec deux Églises : l’EPCR (Église Protestante Christ-Roi), membre de la Cevaa, à Bangui, et l’EELRCA (Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine), qui compte près de 120.000 membres dont 84 pasteurs, et œuvre principalement dans l’ouest du pays, région déshéritée et instable. Entre ces deux lieux, la capitale et la province, d’énormes disparités, à commencer par les conditions de circulation et la sécurité. Le point avec cet article de Valérie Thorin (responsable du suivi de la Centrafrique au Défap) publié dans la Lettre du Défap de février 2019.

Rencontre des partenaires internationaux de l’EELRCA – 29-30 octobre 2018 © Valérie Thorin pour Défap

 

Il y a deux Centrafrique. Celle de la capitale, Bangui, donne l’impression que les institutions fonctionnent, que la sécurité est assurée et que la paix est revenue.

L’activité urbaine témoigne d’une certaine reprise économique, perçue par le biais des services (banques, commerces, hôtellerie, restauration) et des télécommunications (le sacro-saint portable…). Les usines de transformation tournent à plein régime : boissons, sucre, cigarettes même si l’agriculture reste malgré tout le principal contributeur au PIB (pour 43% en 2017) avec le café, le coton, le palmier à huile et le bois.

La RCA engrange donc des recettes fiscales liées à toutes ces activités économiques (9,1% du PIB en 2017) mais elles restent en deçà des dépenses (14,9% du PIB), ce qui signifie une forte dépendance visà-vis de l’aide extérieure (FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement, Union européenne et France).

La seconde…

Pour aller plus loin :

La «seconde Centrafrique» est celle de la province. Près de 80% du pays – du centre à l’est – est aux mains des bandes armées, dirigées par des chefs de guerre se comportant comme de petits proconsuls, tout-puissants et violents. L’ouest est plus tranquille. Certes, il y a toujours des voyous qui jouent les coupeurs de routes, mais ils se satisfont en général de quelques francs CFA. À Bouar, ville où est installée l’administration de l’Église évangélique luthérienne de Centrafrique (EELRCA), les Casques bleus des Nations unies font office de gendarmerie, un blindé posté au carrefour principal en guise de dissuasion.

Et presque rien ne fonctionne : quasi-absence de réseau téléphonique, pas ou très peu d’eau courante, pas d’électricité hormis lorsque les groupes électrogènes sont en marche, quelques heures à la nuit tombée parce que le carburant doit être utilisé avec parcimonie. Les pistes sont dans un état lamentable, défoncées, inondées et les routes dites goudronnées sont souvent effondrées ; il n’y a pas d’écoles publiques sauf dans les villes et très peu d’hôpitaux. D’où l’importance du réseau que l’EELRCA a réussi à mettre en place en ce qui concerne l’éducation et la santé.

La région est grosse productrice d’or et de diamants alluvionnaires (les fameux diamants de Centrafrique…) et la forêt pluviale permet l’exploitation des bois précieux. Les trafics sont intenses. Il est fréquent de croiser des camions grumiers le soir et la nuit, alors qu’ils devraient avoir quitté les pistes à 16h30 (la nuit tombe vers 17h). Les diamants peuvent être « pêchés » par tout un chacun et les collecteurs, qui ont pignon sur rue dans la moindre bourgade, font des bénéfices de l’ordre de 1 pour 10 000…

À Carnot, préfecture et plaque tournante du commerce des pierres, certaines maisons ressemblent à des palais des mille-et-une nuits. Mais pour un sultan, 10 000 pauvres bougres se tuent au travail.

Valérie Thorin, envoyée spéciale

L’école de théologie de l’EELRCA à Baboua, l’un des projets soutenus par le Défap – 29-30 octobre 2018 © Valérie Thorin pour Défap



Centrafrique : «À Bouar, des déplacés musulmans reviennent»

En dépit de la présence des groupes armés et d’une paix toujours fragile, les Églises de RCA travaillent à la réconciliation et à reconstruire un vivre-ensemble mis à mal par des années de guerre civile. C’est le cas non seulement à Bangui, où le Défap soutient les efforts de l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique, mais aussi dans l’Ouest du pays, non loin des frontières du Tchad et du Cameroun, où il est en lien avec l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine. Deux représentantes de l’EELRCA, Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem et Antoinette Beanzoui Yindjara, ont été reçues au Défap en ce mois de juin. Elles témoignent.

Antoinette Beanzoui Yindjara (à gauche) et Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem (à droite) de l’EELRCA © Défap 

Difficile de parler de la République centrafricaine sans se plonger dans la litanie des violences et des affrontements entre groupes armés : même Bangui, la capitale, pourtant considérée comme généralement calme, a connu des violences qui ont fait 24 morts et 170 blessés au début du mois de mai. Pourtant, dans ce pays qui peine à émerger de la guerre, et dont le gouvernement démocratiquement élu ne parvient pas à faire régner l’ordre face aux factions rebelles rivales, des signes d’espoir existent. Les signes lents d’une reconstruction : des autorités qui mettent sur pied une commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation, des Forces Armées centrafricaines qui montent en puissance, aidées notamment par des formateurs de la Mission d’entraînement de l’Union européenne… Ces ferments de paix et d’unité sont entretenus notamment par les Églises, par des représentants religieux qui maintiennent le dialogue entre communautés, et par des actions au quotidien pour préparer le retour de déplacés ou aider des victimes de violence. Reconstruire, tout simplement…

En ce mois de juin, le Défap a reçu la visite de deux représentantes de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine, qui compte près de 120.000 membres dont 84 pasteurs, et œuvre principalement dans l’Ouest du pays, région déshéritée et instable. Toutes deux étaient de passage en Europe pour rencontrer les partenaires de l’EELRCA en France (où cette Église bénéficie de l’appui de l’UEPAL, via le Défap) et en Allemagne. Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem est vice-présidente de l’Église ; Antoinette Beanzoui Yindjara est pour sa part l’une des trois femmes pasteures ordonnées par l’EELRCA, et elle dirige l’école de théologie de Baboua, non loin de la frontière camerounaise. Baboua est à un peu plus d’une centaine de kilomètres à l’ouest de Bouar, chef-lieu de la préfecture de Nana-Mambéré. Une ville où s’opposent les efforts de reconstruction et les influences des groupes armés qui ont mis la région en coupe réglée. C’est à Bouar que pourrait être prochainement installé un centre de formation et d’entraînement des FACA, les Forces Armées centrafricaines, avec le soutien de la Mission d’entraînement de l’Union européenne ; mais Bouar est aussi au cœur du territoire où sévit le chef rebelle Sidiki Abass, qui à la tête du groupe armé 3R (pour «Retour, réclamation, réhabilitation»), prétend défendre les intérêts des Peuls dans tout le secteur nord-ouest de la RCA, aux confins du Cameroun et du Tchad.

Une cellule d’écoute psychologique mise en place à Bangui par l’EPCRC © Défap-Cevaa 

 

Quelle est aujourd’hui la situation dans la région de Bouar ?

Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem : La situation reste difficile. À Bouar même, ou le long des grands axes comme la route qui va vers la frontière et Garoua Boulaï, la population bénéficie d’une paix précaire. Mais dans les villages environnants règne la plus grande insécurité.

Antoinette Beanzoui Yindjara : Certaines localités peuvent être occupées par des groupes armés qui rançonnent les commerces, voire les chefs de village, lesquels se retrouvent obligés de faire du porte-à-porte pour réunir l’argent nécessaire afin de racheter leur propre vie. Même les éleveurs peuls, que certains groupes rebelles prétendent protéger, peuvent voir une partie de leur troupeau emportée par leurs «protecteurs». Pourtant, il y a des améliorations : une partie des anti-balaka de notre région ont été désarmés. Certains suivent aujourd’hui des formations pour avoir un métier. Même si d’autres préfèrent la vie de petits voleurs en s’abritant derrière le paravent des anti-balaka…

Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem : Il faut dire que tous les groupes armés ont attiré beaucoup de jeunes désœuvrés en les manipulant. L’enjeu aujourd’hui est de leur permettre d’avoir un vrai métier…

Antoinette Beanzoui Yindjara : Un autre signe encourageant : certains chefs rebelles demandent désormais à rencontrer les chefs de quartier, les autorités, en affirmant qu’ils veulent en finir avec la violence, qu’ils sont pour la réconciliation. C’est le cas notamment de Sidiki Abass et de son groupe qui se dit défenseur des Peuls. C’est une initiative qui suscite évidemment de la méfiance ; et on voit bien qu’il place des gens à lui dans tous les villages. Mais c’est tout de même un signal qui donne de l’espoir.

Que peut faire l’EELRCA dans un tel contexte ?

Antoinette Beanzoui Yindjara : Dans notre pays, toutes les Églises travaillent en ce moment pour la paix et la réconciliation. C’est aussi le cas des représentants de toutes les religions, qui se retrouvent dans une plateforme interreligieuse. Notre Église en particulier a organisé, avec l’aide d’ONG internationales et de nos partenaires européens et américains, beaucoup de rencontres et d’actions de sensibilisation autour de l’accueil des déplacés.

Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem : Quand un grand nombre de ces déplacés arrivent, on se retrouve souvent dépassé, ce qui crée des situations difficiles. Je le vois dans mon quartier : beaucoup sont venus s’installer, fuyant les troupes de Sidiki. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux ; ils ne peuvent pas travailler ; ils souffrent, en attendant l’aide des ONG internationales.

Antoinette Beanzoui Yindjara : D’où l’enjeu de ces actions de sensibilisation : comment accueillir ces déplacés, comment les aider à s’installer ? Et au-delà, comment œuvrer à la réconciliation, et comment nous donner les moyens de vivre ensemble une fois que cette crise sera passée ? Les pasteurs de notre Église ont été mis à contribution, lors de ces sessions d’information et de ces conférences, pour aider à préparer spirituellement et moralement la réconciliation.

Mais le retour des déplacés ne risque-t-il pas de créer de nouvelles tensions entre communautés, entre chrétiens et musulmans ?

Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem : Ce retour commence déjà : on voit certains des musulmans qui avaient fui revenir à Bouar et à Baboua.

Antoinette Beanzoui Yindjara : Les marchands musulmans ont repris leurs commerces à Bouar. Les Peuls aussi, chassés par les violences, reviennent : on commence à revoir les femmes des éleveurs peuls vendre du lait sur les marchés. J’ai reçu une invitation de la part du maire de la commune de Besson, près de Baboua, pour participer à une rencontre sur la cohésion sociale lors de la fête du ramadan. Et au niveau de la plateforme interreligieuse de Baboua, dont je fais partie, nous avons eu une rencontre au cours de laquelle nos frères musulmans nous ont dit que beaucoup des réfugiés partis au Cameroun sont prêts à rentrer. Car ils souffrent beaucoup là où ils sont actuellement… Leurs préoccupations, ce sont leurs maisons, qui ont été brûlées, et tous leurs biens qui ont été détruits. Les responsables musulmans de la plateforme ont donc demandé aux pasteurs et aux évêques s’il serait possible de trouver de l’aide pour reconstruire ces maisons.

Rachel Zoungombe Doumbaye Wangarem : Nous avons aussi organisé des rencontres pour favoriser la cohésion sociale entre femmes chrétiennes et musulmanes à Bouar, Gallo et Baboua. Il s’agissait de sessions se déroulant sur plusieurs jours, qui faisaient appel à des pasteurs, des travailleurs humanitaires, avec une partie se déroulant sous la forme de conférences, et des discussions libres. Les participantes étaient nombreuses et très demandeuses d’autres ateliers du même type.

Antoinette Beanzoui Yindjara : Il y a déjà eu quatre de ces ateliers organisés avec l’aide de nos partenaires internationaux, un en 2016, un en 2017 et deux en 2018. Je faisais partie des intervenantes lors du premier d’entre eux, il y a deux ans. C’était la première fois que les femmes musulmanes avaient osé se montrer au grand jour. Un grand moment…

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez




Centrafrique : comment les chefs de guerre instrumentalisent le religieux

Ludovic Fiomona, vice président de l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique © Franck Lefebvre-Billiez pour Défap

On parle fréquemment à propos de la République centrafricaine de violences intercommunautaires meurtrières ; mais la capitale, Bangui, est généralement épargnée. Jusqu’au 1er mai dernier, lorsqu’une attaque contre l’église Notre-Dame de Fatima a fait 16 morts et 99 blessés, suivie par des affrontements qui ont provoqué 8 morts et 71 blessés de plus. Que s’est-il passé ?

Ludovic Fiomona, vice président de l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique : Il y avait déjà eu une première alerte au cours du mois précédent, avec des violences autour de PK5, quartier qui représente le poumon économique de la capitale et où se trouve rassemblée la plus grande partie des musulmans habitant encore à Bangui. Le secrétaire général de notre Église, qui habite dans ce secteur, a dû se mettre à l’abri. Il faut dire que depuis les violences de 2013-2014, la plupart des musulmans de la capitale ont fui, étant en minorité dans la ville et s’estimant menacés ; et PK5 représente une sorte d’enclave où les forces de maintien de la paix de la Minusca [Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine] ne parviennent pas à désarmer les gangs. Le chef d’un de ces gangs, qui se fait appeler le «général Force», a mis le quartier en coupe réglée et rançonne les commerçants ; tout en prétendant être à la tête d’un groupe d’auto-défense censé protéger PK5 des incursions des chrétiens… Tout a dégénéré le 8 avril, lorsque la Minusca a tenté de l’arrêter. Non seulement elle n’a pas pu le mettre hors d’état de nuire, mais il a réussi à haranguer la population pour retourner la situation, prétendant que les musulmans de Bangui étaient attaqués ; les jeunes du quartier ont dressé des barricades, attaqué les blindés de la Minusca, mis le feu à un commissariat… Lui s’est sauvé. Et depuis, il nargue à la fois les Nations-unies et le président Faustin-Archange Touadéra, laissant entendre qu’il pourrait aller jusqu’au coup d’État s’il était de nouveau menacé.

Et le 1er mai ?

Ludovic Fiomona : C’est ce jour-là que les violences ont atteint un paroxysme. Face aux tensions, les forces de maintien de l’ordre avaient été déployées pour sécuriser en priorité le défilé des travailleurs devant le corps diplomatique et devant le chef de l’État. Mais au même moment avait lieu dans le troisième arrondissement une cérémonie solennelle à l’église Notre-Dame de Fatima ; les fidèles étaient si nombreux qu’ils parvenaient à peine à entrer dans la cour. L’église avait déjà été attaquée pendant la guerre civile en 2014, il y avait eu 15 morts. Et c’est justement près de Notre-Dame de Fatima, voisine de PK5, qu’un lieutenant du «général Force» a été identifié en ce jour du 1er mai, alors qu’il voulait acheter de l’alcool. Les gendarmes ont tenté de l’arrêter, il leur a tiré dessus avant de fuir pour alerter son groupe. Une foule en colère est alors sortie de PK5 pour se déchaîner contre l’église. On a tiré sur les fidèles, lancé des grenades ; les militaires de la Minusca qui protégeaient la cérémonie, en sous-effectif, ont rapidement cédé et se sont repliés. Après, tout s’est enchaîné : des jeunes du quartier de l’église Notre-Dame de Fatima, sous le coup de la colère, ont bastonné à mort deux jeunes musulmans qui sortaient d’une entreprise de téléphonie, et qui n’avaient rien à voir avec ces violences…Un deuil national de trois jours a été organisé, à l’issue duquel la société civile, pour manifester son refus des violences et interpeller les autorités, a organisé une opération ville morte et des concerts de casseroles la nuit. L’archevêque Dieudonné Nzapalainga [l’un des trois «saints de Bangui», avec le pasteur Nicolas Guerekoyame-Gbangou et l’imam Omar Kobine Layama] ainsi que le chef de l’État et le Premier ministre se sont exprimés, le calme est revenu ; mais le quartier PK5 est toujours bouclé, les déplacements limités.

Exemple de soutien aux victimes : les responsables de la cellule d’écoute psychologique de l’EPCRC, mise en place avec le soutien de la Cevaa et du Défap © Défap-Cevaa

Que penser de ces résurgences des tensions entre chrétiens et musulmans ? Diverses Églises, dont la vôtre, ont lancé depuis 2015 des programmes de soutien aux victimes des violences, indépendamment de leur religion, avec notamment le soutien du Défap et de la Cevaa ; ainsi que des programmes de reconstruction en faveur de la jeunesse (Centre de la Jeunesse, écoles) pour aider le pays à se relever… Comment éviter que tout ceci soit menacé ?

Ludovic Fiomona : Le Défap, la Cevaa et de nombreuses organisations ont déployé beaucoup d’efforts pour encourager la cohésion sociale et soutenir le vivre-ensemble en Centrafrique ; les responsables religieux que l’on appelle aujourd’hui les «trois saints de Bangui» ont plaidé la cause de la RCA dans le monde entier pour obtenir un soutien international afin d’aider à ce projet ; et pourtant, la cohésion sociale n’est pas acquise. Des gens dangereux peuvent toujours instrumentaliser le religieux à des fins personnelles ; et le gouvernement démocratiquement mis en place reste fragile et menacé. Car la méfiance demeure : il ne peut pas y avoir de paix sans justice ni réparation. C’est ce que doit faire la commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (1) ; mais il y a derrière les groupes armés de tous bords des intérêts qui s’y opposent, car cela signifiera la fin de leur impunité. Faire justice et protéger les minorités, voilà ce qui est nécessaire pour réussir à obtenir un désarmement réel des groupes armés.

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez

(1) Après les violences des années 2013-2014, des consultations populaires et un forum organisé à Bangui en 2015 ont débouché sur la mise en place de comités locaux de paix et de réconciliation (CLPR) dans toute la République centrafricaine. Il a également été prévu de créer, sur le modèle de l’Afrique du Sud après l’apartheid, une commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation ayant pour mission de lutter contre l’impunité. Sa mise en place a bénéficié du soutien de deux organisations sud-africaines, l’Institut de transformation de l’initiative (ITI) et l’Institut pour la justice et la paix (ISP).



Centrafrique : «La crise a développé le dialogue interreligieux»

À gauche : le président de l’EELRCA, Samuel Ndanga-Toue ; à droite, l’administrateur de l’EELRCA, Patrick Kelembha © Défap

Officiellement, la guerre civile a pris fin depuis plus de trois ans en République centrafricaine : un accord de cessation des hostilités a été signé en juillet 2014 à Brazzaville, un nouveau président a été élu à la fin de l’année suivante… Pourquoi les violences continuent-elles ?

Samuel Ndanga-Toue, président de l’EELRCA : Elles ne peuvent pas prendre fin tant que les groupes armés qui agissent à travers le pays n’auront pas tous été désarmés. À cause de ces groupes, nous vivons dans une grande insécurité. Ils sont susceptibles de commettre des exactions n’importe où, n’importe quand. À un moment donné, la situation peut sembler calme ; mais du jour au lendemain, la population peut subir des attaques. Il n’y aura pas de paix tant que tout le monde n’aura pas été désarmé.

De quelle manière les affrontements qui ont culminé au cours des années 2013-2014, et l’insécurité qui persiste, ont-ils pesé sur les actions et le témoignage de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine ?

Pour aller plus loin :

Samuel Ndanga-Toue : En dépit de l’insécurité, nous organisons des campagnes publiques, des séances de formation, des colloques, des conférences : notre Église poursuit son témoignage au sein de la société. Elle s’est aussi beaucoup occupée des déplacés qui fuyaient les violences : toute une organisation a été mise sur pied pour les accueillir, les nourrir, prendre soin de leurs besoins. Il y a eu des collectes en leur faveur. Certains ont été accueillis dans des églises, d’autres logés dans des familles…
Mais la crise a eu aussi des aspects positifs : sans elle, il n’y aurait pas aujourd’hui de plateforme commune rassemblant catholiques, protestants et musulmans. C’est précisément les tensions communautaires qui ont montré le besoin de créer un lieu de dialogue de manière à désamorcer les risques de violences confessionnelles. La crise a contribué à renforcer le dialogue interreligieux.

Pour quels projets êtes-vous en relation avec les protestants de France ?

Patrick Kelembha, administrateur de l’EELRCA : Trois projets de notre Église ont bénéficié de financements de la Colureum [la Commission luthérienne des relations avec les Églises d’outre-mer, aujourd’hui intégrée au Défap]. L’un concernait le soutien à l’administration centrale de l’Église ; l’autre un programme d’évangélisation parmi les Citoyens [terme qui désigne officiellement les Pygmées] ; un troisième concernait le soutien à notre école de théologie de Baboua. Le premier et le dernier bénéficient encore aujourd’hui de financements.

Comment percevez-vous la situation des Églises de France ?

Un des projets de l’EELRCA : une école à Bohong © Anne-Lise Deiss pour Défap

Samuel Ndanga-Toue : Les contextes sont très différents ; et pourtant en France, dans un pays en paix, nous avons constaté que les Églises peuvent avoir des difficultés pour porter leur témoignage dans la société. Les contraintes liées à une conception de la laïcité les tiennent enfermées dans leurs locaux et les gênent pour jouer leur rôle. Elles ne peuvent pas aller évangéliser dans des lieux publics. C’est là un lourd défi pour une Église.

Patrick Kelembha : De même pour l’accueil des réfugiés : les Églises doivent s’en occuper un peu en cachette, parce qu’aux yeux de l’État, certains peuvent légitimement être accueillis, et d’autres pas. Or pour l’Église, un être humain, c’est un être humain. On doit accorder la même dignité à tous.

Quel aspect de la vie des Églises de France vous a le plus intéressé ?

Samuel Ndanga-Toue : Nous avons été très impressionnés de voir à l’œuvre l’union des Églises luthériennes et réformées. Aujourd’hui en France, elles fonctionnent véritablement en commun. C’est là un constat encourageant pour nous, et qui nous pousse à espérer qu’en Afrique aussi, des Église différentes pourraient se rapprocher. On ne peut pas être une Église en restant chacun isolé ; nous défendons tous la même cause, et s’il existe des différences entre nous, nous devons les transcender pour faire progresser cette cause commune.

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez


Retrouvez dans la vidéo ci-dessous quelques illustrations de projets de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine : une école pour filles musulmanes à Bohong (village de l’Ouest de la RCA, à 75 km de Bouar) ; un centre de soin, une école biblique ; l’école théologique de Baboua ; quelques vues d’une rencontre avec les partenaires de l’EELRCA ; ainsi que des illustrations de la vie en Centrafrique, avec notamment des déplacés ayant fui les violences pour se réfugier dans la brousse. Sur le million de Centrafricains qui ont fui les violences à partir de mars 2013, on dénombre encore aujourd’hui 384.000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et plus de 467.000 réfugiés dans les pays voisins.




Centrafrique : guérir du traumatisme

Déplacés de la région de Bohong fuyant les exactions de la Séléka et accueillis en août 2013 par l’Église luthérienne du village de Ndogue-la-Douane © EELRCA pour Défap

Officiellement, la République centrafricaine a tourné la page de la guerre civile. Mais c’est un pays qui reste profondément meurtri. Sur le plan politique, la reconstruction est en marche : le 23 juillet 2014 a marqué la signature d’un accord de cessation des hostilités à Brazzaville ; une nouvelle Constitution a été approuvée fin décembre 2015 par référendum ; un nouveau président a été démocratiquement élu, l’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra. Mais les violences perdurent et des régions entières sont encore sous le contrôle de milices qui font régner la terreur ou monnayent leur «protection». Environ 2,3 millions de Centrafricains, soit la moitié de la population, survivent grâce à l’aide humanitaire. Plus des trois-quarts des habitants du pays sont toujours en situation d’extrême pauvreté. Sur le million de Centrafricains qui ont fui les violences à partir de mars 2013, on dénombre encore aujourd’hui 384.000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et plus de 467.000 réfugiés au Cameroun, au Tchad, en République démocratique du Congo et en République du Congo. Un peu plus de la moitié des structures sanitaires du pays sont en état de fonctionner, un quart disposent d’une source d’énergie et 2% d’accès à l’eau potable.

Si les Églises seules ne peuvent relever un pays, elles ont un rôle d’accompagnement de la population irremplaçable quand les structures collectives sont détruites, l’État défaillant, et que le gouvernement peine à imposer sa légitimité au-delà des limites de la capitale, Bangui.

Éviter la résurgence des affrontements interconfessionnels

Pour aller plus loin :

Au cours des dernières années, le Défap a tout particulièrement accompagné l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale (lire : Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui). Mais il est aussi en lien avec d’autres Églises qui interviennent dans d’autres régions, dans des conditions tout aussi difficiles et qui ont les mêmes besoins ; c’est notamment le cas de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine (EELRCA), dont une délégation, composée du président Samuel Ndanga Toue et de l’administrateur Patrick Kelembho, était présente le samedi 17 mars lors de l’Assemblée Générale du Défap.

L’EELRCA regroupe 120.000 membres à travers 544 «congrégations» (paroisses) ; elle compte 74 pasteurs et 540 «catéchistes diplômés» ; elle est présente surtout dans la partie Ouest du pays. Elle est en lien plutôt avec des partenaires américains (ELCA) mais a entretenu aussi pendant de longues années des relations avec les protestants de France via la Colureum (Commission luthérienne des relations avec les Églises d’outre-mer), aujourd’hui intégrée au Défap. Intervenant devant les participants de l’AG du Défap, son président a rappelé brièvement son histoire (sa création en 1930 par les missionnaires américains comme partie du Synode Général de l’Église Évangélique Luthérienne du Cameroun, jusqu’à son indépendance en 1973), ses missions (regroupées en trois volets : évangélisation, formation, diaconat), et surtout ses défis actuels en lien avec la situation du pays.

De l’urgence à la reconstruction

Intervention de la délégation de l’Église Évangélique Luthérienne de République Centrafricaine à l’Assemblée générale du Défap © Défap

Si, pendant la phase la plus aiguë de la guerre civile, le besoin primordial était d’apporter une aide matérielle d’urgence aux déplacés et sinistrés, désormais il faut se soucier de reconstruire. L’une des tâches les plus difficiles auxquelles sont confrontées les Églises en RCA est de désamorcer les tensions communautaires. «Aujourd’hui, a souligné Samuel Ndanga Toue, toutes les Églises travaillent ensemble pour la paix. Et il existe pour cela une plateforme commune regroupant catholiques, protestants et musulmans». Si un affrontement interconfessionnel généralisé a été évité durant les années 2013-2014, c’est déjà en grande partie grâce à des responsables religieux qui ont refusé de voir la religion instrumentalisée. Mais le risque est toujours très présent. «Le souci majeur c’est de faire comprendre aux Centrafricains et Centrafricaines qu’ils doivent s’accepter, se pardonner en vue de la réconciliation. Ils doivent comprendre que les seigneurs de guerre ont instrumentalisé la religion pour parvenir à leur fin ; et en le faisant ils ont bel et bien réussi à faire voler en éclats la coexistence pacifique qui régnait au pays.»

Tout comme l’EPCRC, l’EELRCA accompagne aussi les victimes de violences. Comme l’a souligné son président, l’Église «a organisé un séminaire ayant pour thème Guérir du traumatisme. Cette formation des formateurs avait pour objectif la prise en charge des personnes traumatisées pendant la crise qui a secoué le pays.» Elle accompagne les femmes, particulièrement ciblées par les violences, les jeunes dont une grande majorité sont sans activité et constituent toujours un vivier pour les recruteurs des groupes armés ; elle doit en même temps faire face à une situation matérielle très difficile, qui la pousse à chercher des ressources. Et pour relever tous ces défis, elle est en quête de soutien.




L’espérance au cœur des ténèbres

Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé © Défap

La rencontre a eu lieu début novembre à l’Institut Protestant de Théologie (IPT), à Paris : Jürgen Moltmann l’Allemand, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé le Centrafricain – deux univers qui se croisent et se parlent. Le premier, venu à l’IPT pour une conférence, est un survivant de la Seconde Guerre mondiale : né en 1926 à Hambourg, il a connu l’enrôlement dès 14 ans au sein des Jeunesses hitlériennes. Puis au sein de la défense anti-aérienne de l’armée allemande. Fait prisonnier en 1945, il a passé les trois années suivantes dans divers camps. Et c’est là qu’il a reçu un Nouveau Testament des mains d’un aumônier américain, et rencontré divers groupes chrétiens et étudiants en théologie. Retournant enfin chez lui en 1948, pour retrouver sa ville natale réduite en ruines par les bombardements américains, il a commencé à réfléchir à une théologie de l’espérance adressée à ceux qu’il qualifie de «survivants de sa génération». Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé, pour sa part, est né en 1984 en République centrafricaine ; il a été pasteur de l’Église évangélique Béthanie, à Bangui, de 2006 à 2013. Il a bénéficié d’une bourse du Défap pour étudier le dialogue des cultures et des religions à l’institut Al Mowafaqa, au Maroc ; depuis 2015, toujours avec l’aide du Défap, il étudie à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris) où il prépare un doctorat. Son sujet d’étude : la théologie de Moltmann, et plus précisément la façon dont elle est reçue par les protestants francophones…

Un sujet qui, pour Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé, reflète bien plus qu’un choix académique. «Jürgen Moltmann a connu une vie de souffrance, il a connu les bombardements, la prison, il a perdu tous ses proches dans la guerre : et c’est dans ce contexte qu’il a expérimenté la Croix. J’ai aussi vécu la guerre en Centrafrique ; j’ai aussi été personnellement touché, ma famille a été durement frappée, mes amis proches ont été tués ; et même si je n’y vis pas actuellement, je ressens fortement qu’il y a en Centrafrique beaucoup de gens qui continuent d’y vivre des choses terribles, et qui ont vraiment besoin d’un message d’espérance. Or Moltmann, à travers tout ce qu’il a vécu, réussit à nous parler d’un Dieu non pas lointain, mais bien présent ; un Dieu qui compâtit à la douleur et qui intervient, qui agit.»

«Pour une Église qui n’a pas peur de la rencontre»

De gauche à droite : la rencontre entre Jürgen Moltmann et Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé © Défap

L’intérêt de Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé pour le parcours et la théologie de Jürgen Moltmann n’est pas récent, mais il n’a fait que se renforcer avec l’aggravation de la crise centrafricaine : «Je l’avais déjà étudié quand j’étais en licence à la faculté de théologie évangélique de Bangui (la Fateb). Déjà à cette époque, Moltmann  m’avait beaucoup intéressé. Mais quand est venu le moment de déposer mon sujet de doctorat, la situation de mon pays s’était tellement dégradée que je me suis demandé : en tant que théologien, y a-t-il un message d’espoir que je puisse porter ? Des experts de l’Onu évoquent régulièrement des signes avant-coureurs de génocide, les populations sont désespérées, elles ne savent si elles vont s’en sortir… Je me suis alors rendu compte que théologie de Moltmann répond aux besoins de tout ce que traverse mon pays depuis bientôt sept ans. Et au-delà de ses travaux, par ses prises de position, il soutient aussi l’engagement de l’Église dans la société.  Jürgen Moltmann rappelle quelle attitude avait Jésus-Christ vis-à-vis des autorités politiques ; comment il faisait face aux dirigeants de son temps, n’hésitait pas à dénoncer, attirer l’attention… C’est là le rôle que Moltmann veut pour l’Église : selon lui, l’Église n’est pas hors de la société, elle est dans la société, et tout ce qui concerne la société concerne aussi l’Église. L’Église a ainsi un rôle à jouer en matière de protection de l’environnement, elle peut lutter contre la xénophobie à travers des programmes inter-communautaires ; elle peut légitimement s’engager dans les relations œcuméniques, dans le dialogue avec d’autres religions…»

A travers ses travaux, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé espère aussi contribuer à mieux faire connaître un théologien qui est, curieusement, mieux connu chez les catholiques et dans le monde anglo-saxon qu’au sein du monde protestant francophone. «Dans les milieux protestants, Moltmann est très critiqué, notamment chez les évangéliques, qui le classent parmi les théologiens libéraux. Il est vrai que sa théologie encourage une foi ouverte, une Église ouverte, qui ne soit pas introvertie… Une Église qui n’a pas peur de la rencontre et du dialogue. Ainsi qu’il est écrit dans les lettres de Paul : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme »…»

Franck Lefebvre-Billiez




Bangui : «Se redresser, malgré tout»

  Défap : Vous accompagnez l’Église protestante Christ-roi de Centrafrique depuis trois ans, et vous avez effectué de nombreux séjours à Bangui. Quelle est aujourd’hui la situation dans la capitale, et dans le reste de la République centrafricaine ?

Bernard Croissant et son épouse, Catherine Croissant, lors de leur dernier séjour à Bangui © Défap-Cevaa

  Bernard Croissant : Quand nous sommes arrivés, mon épouse Catherine et moi-même, au début de notre dernier séjour, la situation était assez tendue. La population de Bangui exprimait une exaspération croissante vis-à-vis de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). Il y avait eu des incidents du côté de PK5, le seul quartier de Bangui où vivent encore des musulmans : une grenade avait été jetée sur un rassemblement de réconciliation entre chrétiens et musulmans. Cet acte de violence a entraîné un nouveau cycle de vengeances de part et d’autre, et en particulier le meurtre d’un jeune chrétien de 16 ans. Comme il semble avoir été égorgé à peu de distance des positions des soldats de la Minusca, la colère monte au sein de la population de Bangui, qui ne se sent pas protégée. À l’intérieur du pays, les tensions sont encore plus vives. C’est le chaos : il y a des massacres dans certaines localités, des déplacements massifs de populations qui vont chercher une protection qui dans les églises, qui dans les mosquées. En ce qui concerne les autorités, certains préfets sont empêchés d’accéder à leur préfecture par les bandes armées.
Pendant notre séjour, nous avons assisté à divers incidents qui montrent le degré d’impopularité de la Minusca. Certains avaient été provoqués par des accidents mortels de la route, qui impliquaient des véhicules militaires : ils avaient été aussitôt suivis par des émeutes ou des tentatives d’émeutes lancées par des lycéens et des étudiants. Lors de l’un de ces incidents, notre voiture s’est retrouvée bloquée au milieu de la route, sans pouvoir avancer ni reculer : nous avons pu entendre des tirs et des explosions lorsque la Minusca et la gendarmerie ont dispersé les manifestants.

Quel bilan peut-on tirer après trois ans d’accompagnement pastoral de l’EPCRC ?

Pour aller plus loin :
Le point sur la République centrafricaine et sur les actions du Défap
Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui
Un pasteur français pour Bangui
Bangui : les images de la visite commune Défap-Cevaa

Le bilan qui a été tiré lors de notre dernier séjour a conclu que l’accompagnement pastoral tel qu’il a été fait ces trois dernières années devait prendre fin. Cette durée était celle qui avait été prévue dès l’origine dans le projet ; et par ailleurs, aujourd’hui, les effets bénéfiques de cet accompagnement sont manifestes au sein de l’Église. Il faut désormais prévoir la suite. Les résultats sont aussi très probants en ce qui concerne la cellule d’écoute, à la fois sur l’aspect de soutien psychologique, et sur l’accompagnement social : certaines des femmes aidées par cette cellule ont ainsi pu bénéficier d’un micro-crédit pour mettre en place des activités génératrices de revenus. D’autres ont pu reprendre des études, ou se lancer dans un apprentissage, avec un soutien financier du mouvement des femmes de l’Église.
En outre, les responsables de la cellule d’écoute sont allées se former à l’accompagnement psychologique au Rwanda, dans le cadre d’un échange entre Églises de la Cevaa. Ce séjour a permis de leur faire mieux prendre conscience du rôle que peuvent jouer les Églises pour créer des commissions sur le modèle «Vérité et réconciliation», comme cela a été pratiqué en Afrique du Sud après l’apartheid ou au Rwanda après le génocide de 1994. Une demande de rendez-vous a été faite au chef de l’Etat centrafricain pour développer ce type de processus.

  Où en sont les chantiers soutenus par le Défap et la Cevaa ?

Les travaux de sécurisation du Centre protestant de la Jeunesse © Défap-Cevaa

Le plus gros chantier concerne la réhabilitation du Centre Protestant pour la Jeunesse [un vaste complexe de bâtiments situé en plein Bangui, et qui a été pillé pendant les violences de 2013-2014]. La première tranche financée par la Cevaa et le Défap, qui concernait la mise en sécurité du site pour éviter de nouveaux pillages, est  en cours de finalisation. En ce qui concerne la remise en état proprement dite, les besoins de fonds sont considérables : le Premier ministre centrafricain, que nous avons rencontré, va chercher des partenaires pour aider à financer ce projet. Nous continuerons bien sûr à y être associés, mais nous ne serons plus les principaux bailleurs de fonds.
L’autre chantier, lancé à Morija, dans la banlieue de Bangui, donne des résultats encourageants en ce qui concerne l’école. Trois classes et un bureau sont sortis de terre ; 200 élèves y sont scolarisés. Toutes les salles sont équipées de mobilier scolaire et les effectifs ne dépassent pas les cinquante élèves par classe, ce qui est exceptionnel dans un pays où l’on trouve fréquemment des classes de 70 à 100 élèves, qui travaillent souvent assis par terre, sans pupitres et sans bancs. En revanche, une autre activité que nous avions commencé à accompagner, dans le domaine du maraîchage et de la pisciculture, a dû être abandonnée. La situation n’est vraiment pas propice aujourd’hui à ce genre de projet.

  Quelles suites prévoir ?

En ce qui concerne Morija, il me semble essentiel de se concentrer sur l’école : je vais essayer de solliciter des parrainages pour aider à rétribuer l’équipe enseignante. Il faudrait aussi trouver des moyens humains sur place pour encadrer les membres de cette communauté. En ce qui me concerne plus directement, j’ai reçu des appels pour faire de la formation universitaire auprès des facultés de théologie. Les thèmes pourraient concerner la Réforme, l’identité réformée et protestante, l’histoire, l’ecclésiologie protestante, l’éthique… Il y a eu des demandes précises de la part de la Fateb (la Faculté de théologie évangélique de Bangui) pour que soit organisée une semaine de colloques et de conférences. Tout ceci a été déclenché par le 500e anniversaire de la Réforme, qui a suscité un regain d’intérêt pour l’histoire du protestantisme. De telles formations sur l’identité protestante pourraient aider à apporter une plus grande cohésion au sein de ce protestantisme centrafricain qui est aujourd’hui divisé, morcelé en multiples dénominations. Avec un jour, pourquoi pas, l’idée de créer une plate-forme commune, peut-être une fédération protestante centrafricaine, qui rendrait le protestantisme plus audible et crédible dans ce pays.

  Comment les membres de l’Église protestante Christ-roi de Centrafrique ont-ils vécu ces trois ans d’accompagnement, et comment envisagent-ils l’avenir ?

Les élèves de l’école de Morija © Défap-Cevaa

Les membres de l’Église ont été très sensibles au fait qu’un pasteur vienne auprès d’eux lors de missions régulières, malgré la situation difficile. Ils ont été particulièrement touchés que nous ayons effectué la dernière visite en couple : la présence de mon épouse a été saluée. Outre l’accompagnement proprement dit, ce qui a été le plus apprécié, c’était que quelqu’un vienne au nom du protestantisme français pour marquer la sollicitude, la communion des Églises de France. J’ai reçu le même témoignage de la part des membres de la communauté des Béatitudes (qui est une communauté catholique). Nous logions dans leur monastère ; la veille de notre départ, elles nous ont donné une carte qui nous disait : « Merci de votre présence, merci d’avoir été là ».
Les relations sont d’ailleurs bonnes entre les diverses Églises, au vu de la situation : par exemple, le groupe des jeunes de l’EPCRC a réalisé au mois d’août une semaine de rencontres culturelles. Il y a eu de nombreux participants, venus de diverses Églises : des catholiques, des adventistes, des baptistes, et même des musulmans. Tous ont participé aux mêmes ateliers, aux mêmes cultes ensemble : c’était un beau signe d’espoir et de relations apaisées entre communautés. On constate d’ailleurs que parmi les jeunes, beaucoup sont très actifs sur le plan spirituel, dans les études de la Bible, qu’ils ont une importante quête de sens. Des ateliers ont été mis en place pour les 4-5 ans sur les thématiques du pardon, du renoncement à la vengeance… C’est là un travail de fond, certes modeste sur le plan numérique, mais d’une grande qualité.
Tout ceci est révélateur de l’état d’esprit qui prévaut au sein de l’EPCRC : malgré la situation, il faut se redresser. Ce qui peut se faire d’abord par des actions modestes, en petits groupes, avant de s’élargir. Je garde en tête ce qui s’est passé en 2013, lorsque les femmes se sont mobilisées et ont manifesté jusqu’au palais présidentiel, entourées par les Casques bleus, pour réclamer la paix et la réconciliation… Même au plus profond de la crise, il y a toujours cette volonté de se relever, de changer les choses. Une volonté inébranlable dans laquelle je vois, pour ma part, une manifestation de la foi des membres de cette Église.




Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui

L’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), avec laquelle le Défap est en lien, veut préparer l’avenir dans un pays toujours miné par les violences : elle accompagne les victimes et les aide à construire un nouveau projet de vie, s’occupe d’une école, s’efforce de réhabiliter un grand complexe destiné à la jeunesse situé en plein Bangui… La visite commune Défap-Cevaa organisée début décembre visait à faire le point sur le soutien à cette Église, et notamment sur l’accompagnement pastoral, réalisé par des pasteurs issus des Églises de France.

Les responsables de la cellule d’écoute psychologique © Défap-Cevaa

En République centrafricaine, la guerre civile aurait dû s’achever en 2014. Plus précisément le 23 juillet, date de la signature d’un accord de cessation des hostilités à Brazzaville. Depuis lors, tous les éléments d’une normalisation se sont mis en place : une nouvelle Constitution, approuvée fin décembre 2015 par référendum, et un nouveau président démocratiquement élu, l’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra. Mais ces changements n’étaient que superficiels. Le nouveau gouvernement n’a pas renoncé aux pratiques de mauvaise gouvernance de ceux qui l’avaient précédé. Son influence n’a pu s’étendre véritablement au-delà de la capitale. Dans le reste du pays, le pouvoir est aux mains des milices armées. Le souvenir de la marche des Séléka sur Bangui est encore vivace : c’était en 2013, et les partisans de Michel Djotodia avaient pris la ville sans résistance, forçant à la fuite le président François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir les armes à la main. Mais les exactions des membres de la Séléka («Coalition» en sango) venue du nord du pays où se trouvent la majorité des musulmans (le reste du pays étant très majoritairement chrétien), composée en partie de mercenaires tchadiens, libyens et soudanais, avaient provoqué la création de milices d’autodéfense bientôt baptisées les anti-balaka. Et des violences envers les musulmans soupçonnés de sympathies pro-Séléka…

Depuis, le spectre de l’affrontement inter-communautaire et inter-confessionnel n’a jamais vraiment disparu. Dans les portions du pays qu’elles contrôlent, les milices jouent sur la peur et sur la «protection» qu’elles prétendent offrir pour asseoir leur légitimité. L’année 2017 a ainsi vu la résurgence de la crise centrafricaine sous une forme tout aussi grave qu’en 2013-2014, lorsque la France et les États-Unis s’alarmaient d’une situation «pré-génocidaire» : si la Séléka a été officiellement dissoute, elle a donné naissance à de multiples factions qui se sont engagées dans des luttes territoriales, pendant que de nouveaux groupes anti-balaka se formaient jusque dans l’Est du pays, épargné jusqu’alors.

D’inlassables appels à la paix

Plus que jamais, les Églises de Centrafrique ont besoin d’un accompagnement. Si un affrontement interconfessionnel généralisé a été évité durant les années 2013-2014, c’est en grande partie grâce à des responsables religieux qui ont refusé de voir la religion instrumentalisée. Grâce à des figures comme celles de Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, Nicolas Guerekoyame-Gbangou, pasteur de l’Église évangélique Elim Bangui-M’Poko, et Omar Kobine Layama, président de la conférence islamique, dont les infatigables plaidoyers pour la paix, au mépris même de leur propre sécurité, avaient conduit à les surnommer les «trois Saints de Bangui».

La nécessité de cet accompagnement était au centre de la visite commune Défap-Cevaa qui a eu lieu début décembre à Bangui. Le Défap est en lien avec l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale. Le secrétaire général du Défap, Bertrand Vergniol, qui participait à ce voyage, décrit «une ville déstructurée, sans charpente, où la violence est à fleur de peau, malgré la présence forte de la Minusca». Les troupes de cette Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique sont d’ailleurs elles-mêmes vues avec méfiance, souvent accusées de passivité face aux violences.

«Transcendons les clivages pour reconstruire notre pays»

Rencontre avec avec l’archevêque Nzapalainga © Défap-Cevaa

«À Bangui, endroit le plus sécurisé de la Centrafrique, poursuit Bertrand Vergniol, on se rend compte que les gens parlent encore avec terreur de ce qu’ils ont vécu il y a deux-trois ans. Si aujourd’hui, on ne voit plus des foules de déplacés autour de l’aéroport (on les appelle aujourd’hui les retournés), tout le monde craint que ça recommence». Les Églises poursuivent un travail inlassable pour appeler à l’apaisement et refuser la logique de l’affrontement, quelles que soient les confessions : la visite commune Défap-Cevaa à Bangui a d’ailleurs été marquée par une rencontre avec l’archevêque Nzapalainga. Depuis 2013, la teneur de ses sermons n’a pas changé. «Nous sommes tous Centrafricains comme une famille : transcendons les clivages pour reconstruire notre pays», lançait-il encore le 9 décembre dernier lors de la messe de clôture du pèlerinage sur le site du sanctuaire marial de Ngoukomba, un village situé à 24 km de Bangui sur la route de Damara. Et d’ajouter en sango sous les applaudissements de la foule : «Nous ne voulons plus écouter parler de musulmans, de protestants, de catholiques… Nous sommes tous Centrafricains».

Engagée elle aussi pour le dialogue, et dans l’aide aux victimes de violences, l’EPCRC a mis en place, avec le soutien de la Cevaa et du Défap, une cellule d’accompagnement psychologique. Elle est fréquentée surtout par des musulmanes : dès l’origine, l’Église a voulu que cette aide soit ouverte à toutes les victimes, indépendamment de leur confession. L’Église bénéficie aussi d’un accompagnement pastoral, dans le cadre d’un poste ouvert par la Cevaa ; et ce sont les Églises de France qui ont fourni les pasteurs, notamment Bernard Croissant, qui a été le plus présent à Bangui au fil d’une série de missions de plusieurs semaines à chaque fois. L’EPCRC s’efforce aussi de réhabiliter un grand complexe situé en plein Bangui qui a été très dégradé lors des années 2013-2014, le Centre Protestant de la Jeunesse, et a construit une école à Morija, dans la banlieue de la capitale.

Les élèves de l’école de Morija © Défap-Cevaa

La visite de ce début décembre avait notamment pour but d’évaluer la mission d’accompagnement pastoral, qui devra se poursuivre, même si ses modalités pourront évoluer ; d’ores et déjà, Bertrand Vergniol tient à exprimer à Bernard Croissant «la reconnaissance du protestantisme français et du Défap» pour le travail réalisé à Bangui. En ce qui concerne la cellule d’écoute, «après avoir reçu l’aide d’un psychologue, elle peut désormais fonctionner de manière autonome, souligne le secrétaire général du Défap. C’est un lieu important où des personnes qui ont été maltraitées peuvent retrouver une dignité et former de nouveaux projets de vie». En ce qui concerne le Centre Protestant pour la Jeunesse, les travaux de sécurisation progressent : une fois la clôture achevée, les bâtiments ne seront plus exposés aux pillages. Mais il faudra une aide du gouvernement centrafricain pour réhabiliter le complexe proprement dit, très endommagé : c’était l’objet d’une rencontre qui a eu lieu, au cours de ce séjour, entre la délégation Défap-Cevaa et le Premier ministre. Il faudra aussi pouvoir récupérer l’usage effectif des locaux, qui ont été en partie occupés après la période des troubles… En ce qui concerne Morija, l’école proprement dite est achevée, elle accueille déjà 200 élèves, et il reste à réaliser un forage et un dispensaire. Les paroissiens de l’EPCRC, et tout particulièrement le mouvement des femmes de l’Église, sont très impliqués dans le soutien de ce projet. Aujourd’hui, l’école forme des élèves, en dépit des troubles ; demain, ce sont ces mêmes élèves qui pourront participer à la reconstruction de leur pays.




Bangui : les images de la visite commune Défap-Cevaa

Cette visite, qui a eu lieu au début du mois de décembre, a permis de faire le point sur les projets d’accompagnement de l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique – notamment l’accompagnement pastoral et le soutien à la cellule d’écoute psychologique destinée aux victimes de violences. Elle s’est aussi traduite par des rencontres, comme celle qui a eu lieu avec l’archevêque Nzapalainga, qui continue à plaider l’apaisement en dépit du retour des violences à travers le pays. Retour en images.

Un pays à reconstruire

Les troubles des années 2013-2014 ont laissé des traces profondes ; à Bangui, l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique s’efforce, avec le soutien du Défap et de la Cevaa, de construire ou reconstruire des lieux pour préparer l’avenir du pays. Les premières photos sont consacrées au Centre protestant pour la Jeunesse, un grand complexe de bâtiments à Bangui qui appartient à l’EPCRC : pillé et dégradé tout particulièrement pendant la période 2013-2014, il doit être sécurisé pour pouvoir éviter tout risque de nouveaux pillages et être utilisé de nouveau : d’où les murs et la guérite… Les travaux sont presque achevés. Autre lieu où les efforts de construction progressent : Morija, où le Défap et la Cevaa ont financé notamment la construction d’une école, qui accueille 200 élèves aujourd’hui. Mais un simple trajet dans Bangui révèle l’ampleur de la tâche…

Ceux qui travaillent pour la paix

En dépit de la résurgence des troubles, et des craintes de nouveaux affrontements interconfessionnels et intercommunautaires, des hommes et des femmes affirment la nécessité pour les Centrafricains de s’unir pour reconstruire leur pays. Le Défap et la Cevaa travaillent dans le même sens en soutenant les initiatives de l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique et en l’accompagnant. Les images suivantes montrent tout d’abord Bernard Croissant, pasteur français à la retraite qui a assuré la mission d’accompagnement pastoral de l’EPCRC, ainsi que son épouse, Katy Croissant ; Bertrand Vergniol, secrétaire général du Défap ; le Dr Mathilde Guidimti, qui dirige un hôpital, et Brigitte Oundagnon, qui intervient avec le Réseau des femmes croyantes et médiatrices pour la paix auprès des femmes centrafricaines traumatisées par les troubles qui ont touché le pays. On y voit encore une rencontre avec l’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga ; avec les femmes de la cellule d’écoute psychologique de l’EPCRC ; des membres du conseil presbytéral de l’Église de Bangui, le directeur de l’école de Morija, le groupe des femmes de l’EPCRC, ainsi que Teddy Dila-Ngambsso, responsable Jeunesse de l’EPCRC, avec son épouse, entourés par les époux Croissant et Anne-Sophie Macor, secrétaire exécutive de la Cevaa chargée du pôle Projets – Échanges de personnes…

Ouvrir sur l’avenir

La visite commune Cevaa-Défap à Bangui a permis de faire le point sur la mission d’accompagnement pastoral : le thème a été abordé avec le conseil presbytéral de l’EPCRC. Ce séjour a aussi été marqué par une conférence donnée à la Fateb (Faculté de Théologie Évangélique de Bangui) par le secrétaire général du Défap, Bertrand Vergniol, sur le thème « Espérer contre toute espérance », qui a été un moment fort. Autre encouragement : les élèves de l’école de Morija. Ils font partie de cette nouvelle génération que l’on forme aujourd’hui et qui, demain, donnera un avenir à la RCA…




Portraits d’envoyés : Bernard Croissant

Deuxième de notre galerie de portraits d’envoyés et anciens envoyés du Défap : Bernard Croissant, envoyé en République centrafricaine sur un poste ouvert par la Cevaa, pour faire de l’accompagnement pastoral, aider à la mise en place d’une cellule d’écoute des victimes de la guerre civile et aider à rénover le Centre Protestant pour la Jeunesse de Bangui.

 




Centrafrique : comment écouter et accompagner les victimes ?

Psychologue de formation et expert de la dimension post-traumatique, Yann Jurgensen a été sollicité par le Défap pour professionnaliser une cellule d’écoute de victimes mise en place à Bangui, dans le cadre de la mission d’accompagnement pastoral de l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique. Il est intervenu en binôme avec le pasteur Bernard Croissant. Une expérience qui l’a profondément marqué et qu’il partage aujourd’hui avec nous, depuis son retour de Bangui.

En quoi consistait votre mission en Centrafrique ?

Après avoir été contacté par le Défap, je suis parti à deux reprises : en mars et décembre 2016. Le premier séjour avait pour objectif d’observer le fonctionnement actuel de cette cellule d’écoute et la mise à disposition de nouveaux outils. Mon second déplacement avait pour but la professionnalisation des pratiques, au moyen de suivi et de supervision.

A l’origine, la cellule d’écoute a été mise en place par des femmes africaines en 2013.

Je suis venu pour partager mes expériences et apporter des outils théoriques et des méthodes, en vue de professionnaliser la cellule et son équipe de permanents, avec beaucoup de modestie et de précautions. Sur place, j’ai fait dans un premier temps du suivi individuel des victimes et dans un second temps de l’accompagnement des écoutants. Cette dizaine de personnes, empreintes de bonne volonté et d’empathie, sont elles-mêmes des victimes traumatisées par les évènements.

L’objectif de cette structure est l’écoute et l’accompagnement des victimes des exactions. Ce sont essentiellement des femmes et des enfants, à 90 %. Le traumatisme des femmes est direct (par les viols et les exactions). Celui des enfants est indirect (ils ont été spectateurs des évènements). Quel que soit le cas de figure, ces personnes ont besoin d’être écoutées et accompagnées.

La dimension interculturelle est essentielle pour comprendre et améliorer le fonctionnement de cette cellule et apporter des méthodes qui soient spécifiques et qui répondent à la fois aux besoins, aux attendes et aux référentiels des Africains.

 


Equipe de la cellule d’écoute, déc 2016, DR

 

Comment avez-vous collaboré avec le pasteur Bernard Croissant sur place ?

Dans ce type de cellule de soutien psychologique et d’écoute, le travail en binôme pasteur-psychologue est essentiel. Il s’agit dans ce type d’approche, de concilier la foi, la théologie et la dimension psychologique.

La population en RCA est éminemment croyante. L’acceptation de l’approche psychologique va de pair avec la déclinaison du principe du religieux. Car croire permet aussi aux personnes de cicatriser leur traumatisme.

 

Retournerez-vous à Bangui ?

Oui, il est déjà prévu que j’y aille en mars et en décembre 2017. Pour après, on verra… Il faut consolider le tout et développer une approche psychologique de qualité.

En dehors de l’aspect thérapeutique, nous allons aussi développer la mise en place de projets professionnels et la prise en charge médicale des femmes.

Le projet permet de tourner la page du traumatisme, de cicatriser et de reconstruire un autre avenir. Mais il nécessite un financement.

La question de la loi est aussi importante. Dans le labyrinthe juridique, porter plainte et accéder à ses droits n’est pas chose aisée.

 


Yann Jurgensen dans son cabinet à Colmar, DR

 

Que retenez-vous de cette mission ? En quoi vous a-t-elle marqué ?

Ce qui m’a marqué c’est le courage de ces femmes victimes et leur capacité de reconstruction. Ce qui prouve bien que ce sont les personnes et leurs actions au quotidien qui font reculer la pauvreté, la misère, la souffrance…

Il y a aussi sur place beaucoup de talents individuels et collectifs, une grande capacité de résilience et de reconstruction des choses. Il n’y a pas de haine mais juste la volonté qu’il y ait une société juste pour tous.

Dans ce contexte, l’attente de justice et d’exemplarité est très importante. Elle seule pourra endiguer cette dynamique perverse de corruption et d’impunité.

De manière plus générale, ce qui fait avancer une société c’est l’éducation. Il faut que les enfants puissent aller à l’école et que l’espérance perdure. Pour cela il faut financer les études et cela, pour nous autres européens, n’est pas grand-chose : 60 euros par enfant et par an pour la petite école.

Durant ma mission, j’ai rencontré de nombreuses victimes, j’étais préparé à pouvoir les écouter et les accompagner. Mais un évènement m’a profondément marqué, peut-être parce que je ne m’y attendais pas. Je me souviens d’un petit garçon de 7 ans qui est venu au centre. Il n’allait pas encore à l’école alors qu’il souhaitait y aller et que son année scolaire avait été financée.  Dans l’optique d’une scolarité proche, je lui ai offert mon stylo à bille. Au moment où je lui ai donné, il a répété plusieurs fois un mot à voix basse. Je n’ai pas compris sa remarque. Puis il a répété le mot plus fort. Mon stylo lui faisait penser à un objet qu’il avait vu…un missile ! Sa réflexion m’a profondément secoué. Je me suis dit : « alors qu’un stylo sert à construire le monde, il évoque ici la mort qui descend du ciel et qui tue ».

Dans ce type de mission, j’ai entendu beaucoup de choses difficiles mais cet épisode restera toujours gravé dans ma mémoire.

 




République centrafricaine : Bernard Croissant, un pasteur français à Bangui

Bernard Croissant, qui a vécu plusieurs mois en Côte d’Ivoire en tant qu’aumônier militaire de l’EPUdF, est aujourd’hui pasteur retraité. Il est parti à Bangui pour une mission d’accompagnement pastoral de l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique. Il intervient dans le cadre d’un poste ouvert par la Cevaa. Voici son témoignage, porteur d’espérance, sur la situation actuelle en Centrafrique.

Bangui, la capitale martyrisée de la République Centrafricaine manifeste aujourd’hui une vie exubérante. Je n’y avais pas encore vu autant de monde, surtout des enfants se rendant à l’école.
A l’aéroport et tout au long de l’itinéraire qui mène à la FATEB ( faculté de théologie évangélique de Bangui), lieu de mon hébergement, une grande foule en liesse était présente. Ce n’était pas pour mon arrivée mais pour celle du Président de la République, Faustin Touadéra, qui avait emprunté le même vol d’Air France. On pouvait percevoir toute l’espérance placée dans ce président récemment élu, porteur des valeurs évangéliques pratiquées dans le cadre de son Assemblée Baptiste.
C’est dans ce contexte de vie libérée que j’ai entamé mon 4ème séjour d’accompagnement pastoral de l’Eglise protestante du Christ Roi. Il se terminera dans trois semaines après le culte d’installation des nouveaux diacres. Une journée complète sera consacrée à la préparation de cet événement important pour l’Eglise. En attendant les séances d’enseignement et de réflexion se succèdent auprès des groupes d’activités dont un groupe de jeunes adultes catéchumènes qui seront baptisés à Noël.
Au coeur de cette mission se trouve la formation des membres d’une cellule d’écoute et d’accueil de personnes victimes, traumatisées par les exactions de la guerre civile. Pour la seconde fois, l’intervention d’un psychothérapeute – Yann Jurgensen – est attendue et permettra une avancée significative dans la pratique de ce ministère de l’Eglise.
Enfin, je viens d’avoir la satisfaction de constater que la journée que j’avais consacrée, en avril dernier, aux aumôniers militaires avait porté ses fruits : un décret présidentiel officialise la création de l’aumônerie militaire des Forces armées Centrafricaines.
Le 1er décembre, jour de la fête nationale sera célébré avec joie et ferveur, marquant ainsi la liberté et la dignité retrouvées. Je suis heureux d’en être le témoin et le compagnon – au nom du Defap.