Le protestantisme haïtien en grève contre la violence

En dépit des dégâts liés au dernier séisme, et aggravés par la saison des cyclones, le pire problème auquel Haïti est confronté aujourd’hui reste l’insécurité. Les gangs qui contrôlent des quartiers entiers de Port-au-Prince bloquent l’aide internationale, rançonnent la population en multipliant les rapts et menacent même l’approvisionnement en pétrole du pays. Suite à la mort d’un diacre, abattu en plein culte dans le quartier du Palais National, censé être le plus protégé du pays, la Fédération protestante d’Haïti organise une journée de grève le vendredi 1er octobre. Le dimanche 3 octobre, les protestants haïtiens sont invités à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil.

Culte à la Première Église Baptiste de Port-au-Prince © DR

Il s’appelait Sylner Lafaille ; il avait 60 ans, il était diacre ; il est mort le dimanche 26 septembre 2021, vers les sept heures du matin, sur le seuil de la Première Église Baptiste de Port-au-Prince où devait commencer la célébration du premier office. Sa femme et lui venaient d’être assaillis par un groupe lourdement armé. L’objectif des agresseurs : enlever Marie Marthe Laurent Lafaille, 59 ans, l’épouse du diacre, pour réclamer une rançon. C’est parce qu’il tentait de les empêcher d’entraîner sa femme que Sylner Lafaille a été abattu. Les coups de feu ont provoqué une panique chez les fidèles présents, dont plusieurs ont été blessés dans le mouvement de foule qui a suivi.

Cette nouvelle attaque en plein lieu de culte a suscité une émotion profonde au sein du protestantisme haïtien, et plus largement au sein de toute la population. Non que les rapts contre rançon soient rares : ils sont au contraire devenus une vraie source de financement pour les gangs armés qui contrôlent des quartiers entiers de la capitale. Ainsi, au cours du seul week-end où est mort le diacre Sylner Lafaille, plus d’une douzaine de personnes ont été enlevées dans Port-au-Prince et sa banlieue. Trois jours plus tôt, c’est une journaliste de la Télévision Nationale d’Haïti qui avait disparu dans des circonstances similaires. Mais la mort de Sylner Lafaille à la porte de la Première Église Baptiste de Port-au-Prince (un patrimoine national), située à la rue de la Réunion (c’est-à-dire tout près du Palais National, censé être le lieu le plus protégé du pays), montre aux yeux de beaucoup d’Haïtiens que la sécurité n’est plus garantie où que ce soit, ni pour qui que ce soit. Ce qu’a souligné dans un communiqué l’Office de la Protection du Citoyen (OPC), une institution indépendante chargée de veiller au respect des Droits Humains : « Après le drame survenu à l’église Baptiste de la Réunion, considéré comme lieu saint et espace inviolable, aucun endroit n’est protégé. Les églises, les écoles, les universités, les stations de radio et de télé, les bureaux publics et privés, les magasins sont exposés à la furie des bandits armés opérant en toute impunité ». Il s’agissait en outre de la seconde attaque d’un lieu de culte, après l’enlèvement, filmé en direct, le 1er avril dernier, de six personnes à l’Église Adventiste Galaad de Diquini, dans la commune de Carrefour.

Les protestants haïtiens invités à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil

La Première Église Baptiste de Port-au-Prince © DR

Pour dénoncer le meurtre du diacre Lafaille et cette insécurité que rien ne semble devoir diminuer, et qui n’a en rien décru depuis la mort du président Jovenel Moïse, la Fédération protestante d’Haïti a annoncé l’organisation d’une journée de grève ce vendredi 1er octobre. Lors de ce mouvement prévu dans les 10 départements du pays, les activités seront paralysées dans toutes les institutions protestantes, notamment les écoles et universités – seuls les hôpitaux et centres de santé poursuivant leurs activités, a indiqué le pasteur Calixte Fleuridor, président de la fédération. Ce dernier en a profité pour demander aux ravisseurs de libérer l’épouse du défunt afin qu’elle puisse préparer les funérailles de son mari : ce sont des gens humbles qui n’ont pas les moyens de payer la rançon exigée par les ravisseurs, a-t-il fait savoir. Et le dimanche 3 octobre, les protestants haïtiens sont appelés à s’habiller en noir et blanc en signe de deuil, les autres confessions religieuses et tous les secteurs de la vie économique et sociale étant invités à se joindre au mouvement.

Avant cet appel à la grève, la Conférence des pasteurs haïtiens avait déjà demandé au gouvernement et aux autorités de mettre fin à ces actes qui sèment la terreur au sein de la population haïtienne. Et au-delà du milieu des Églises, plusieurs syndicats des transports et de la sous-traitance ont également appelé à la grève générale le lundi 4 octobre pour dénoncer les kidnappings et la violence des groupes armés. Les gangs qui gangrènent la capitale font en effet peser une menace sur les terminaux pétroliers, dont celui de Varreux, qui représente à lui seul 70% des capacités de stockage du pays. Une situation qui provoque une pénurie à Port-au-Prince, avec comme conséquence une flambée des prix du carburant (dont le prix réel a presque quadruplé dans certaines stations-services, en dépit des tarifs officiellement affichés), et qui a poussé il y a quelques semaines l’Association des professionnels du pétrole à lancer un véritable SOS aux autorités. Ces mêmes gangs continuent par ailleurs à gêner considérablement l’arrivée de l’aide dans les secteurs sinistrés suite au tremblement de terre du 14 août.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Haïti : appel à la solidarité protestante

Le Sud d’Haïti s’installe dans la crise post-séisme : de nombreuses familles sinistrées restent divisées entre des camps de fortune, privées d’un hébergement stable en pleine saison cyclonique, et l’acheminement de l’aide reste difficile. Les partenaires présents sur place de la Plateforme Haïti nous donnent des nouvelles. La plateforme Solidarité Protestante, qui a déjà fourni une aide exceptionnelle, lance un nouvel appel à la solidarité.

Distribution d’aide par ADRA Haïti dans la zone frappée par le séisme © ADRA Haïti

Plus d’un mois après le tremblement de terre de magnitude 7,2 qui a ravagé le sud d’Haïti, des sinistrés encore privés de toit réclament de l’aide des autorités pour rebâtir leurs maisons. Alors que la phase de reconstruction doit s’amorcer, le manque d’eau et de nourriture place toujours le pays dans une situation d’urgence. La direction générale de la Protection civile en appelle aux membres du Système national de gestion des risques de désastre et aux partenaires nationaux et internationaux, en évoquant « les besoins vitaux et urgents » qui restent non pourvus. Et elle souligne : « Il devient de plus en plus prioritaire, surtout dans le contexte de la saison cyclonique, de distribuer des produits non alimentaires susceptibles de permettre aux familles sans-abris de s’installer, même temporairement, dans des conditions d’hygiène respectables et à l’abri des intempéries. » Comme le souligne son directeur général, le Dr Jerry Chandler, « notre pays est train de gérer bien plus qu’un tremblement de terre. Il est en même temps confronté à une crise politique aiguë, une précarité sociale persistante, une situation d’insécurité complexe, une pandémie sournoise et une saison cyclonique au-dessus de la moyenne. Nous sommes donc tenus d’utiliser aux mieux les ressources dont nous disposons pour répondre aux vrais besoins prioritaires de la population, éviter les duplications, le gaspillage et les abus, et veiller à ce que les plus nécessiteux ne sombrent dans une détresse extrême ».

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Le tremblement de terre du 14 août a causé la mort de plus de 2200 personne dans le Sud-Ouest du pays et fait plus de 12.000 blessés. Mais il a fait aussi des dégâts matériels immenses qui désorganisent l’aide aux victimes. Selon les chiffres de la Mission Biblique, partenaire du Défap dans le cadre de la Plateforme Haïti, 350 églises et 200 écoles ont été détruites. Outre les milliers de maisons détruites ou endommagées et rendues dangereuses… Dans les zones les plus touchées, les sinistrés restent hébergés de manière précaire dans des camps de fortune, et des familles restent encore divisées, leurs divers membres cherchant des nouvelles les uns des autres.

« La situation est alarmante »

Les partenaires sur place en lien avec les membres de la Plateforme Haïti s’efforcent d’apporter leur aide, en dépit de la désorganisation et des risques causés par une criminalité toujours omniprésente. ADRA-Haïti annonce ainsi que 300 familles réparties entre trois camps situées sur la commune de La Sucrière Henry de St-Louis du Sud, ont commencé à recevoir des tentes, eau, kits hygiéniques et alimentaires. La Mission Biblique, en lien avec l’UEBH (Union Évangélique Baptiste d’Haïti), a fait savoir que pour contourner les difficultés d’acheminement de l’aide, des fonds avaient pu être avancés directement à des familles de sinistrés via la Mission Évangélique Baptiste du Sud d’Haïti.

Distribution de fonds aux victimes à l’Église MEBSH à Maniche © Mission Biblique

Cette aide sur place est rendue possible par les fonds qui ont d’ores et déjà été débloqués dans l’urgence, ainsi que par les dons qui continuent à arriver : ainsi, la Fondation du Protestantisme a apporté un soutien exceptionnel. Solidarité Protestante continue à faire appel à la générosité du protestantisme français et a diffusé récemment un nouveau communiqué :

« Le nom même d’Haïti résonne à nos oreilles comme le nom d’un malheur. Et pire que cela, un malheur déjà oublié, une cause oubliée. Le protestantisme français n’oublie pas, malgré le temps qui passe et les drames qui se succèdent, nous voulons demeurer solidaires de nos frères et sœurs haïtiens.

La situation est alarmante, il s’agit d’un état d’urgence.

Nos partenaires, nous font part de leurs attentes et de leurs besoins notamment de deux ordres :

Acheminement et distribution des produits de première nécessité : eau, assainissement, nourriture, kits sanitaire, bâches, couvertures.
Mise à l’abri des plus vulnérables : sécurisation des lieux d’habitation, de scolarisation.
Les dons collectés par la Fondation du protestantisme seront confiés à nos partenaires déjà à l’œuvre sur place, tels que le DEFAP service protestant de mission, la Fédération protestante d’Haïti, ADRA Haïti, l’Union évangélique baptiste d’Haïti.

Cette aide peut prendre des formes multiples : recherche de logement, fourniture de couvertures et de combustibles, d’aliments, de produits d’hygiène, de soins et de médicaments, sécurisation des lieux et mise à l’abri des personnes.

La Fédération protestante de France appelle de son côté à soutenir également les Haïtiens et les acteurs de la solidarité dans la prière et dans l’intercession tant personnelles qu’ecclésiales ou communautaires. »

Pour donner, plusieurs solutions :

Envoyer un chèque libellé « séisme Haïti 2021 » à l’ordre du Défap : Service protestant de Mission – Défap 102 Bd Arago – 75014 Paris
Par virement au Défap : DEFAP – Mission protestante – « séisme Haïti 2021 » – FR56 2004 1000 0100 0528 9E02 025 – PSSTFRPPPAR – Banque Postale
Donner en ligne à Solidarité Protestante

© ADRA Haïti

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Haïti : aider après le séisme

Plus de 1400 morts et plus de 6900 blessés : après le tremblement de terre qui a frappé le sud d’Haïti le samedi 14 août, le nombre des victimes augmente d’heure en heure. On manque d’eau, de nourriture, d’abris : plus de 75.000 familles sinistrées ont besoin d’une aide d’urgence, alors que de nombreuses infrastructures sont détruites ou fragilisées, et que la tempête Grace menace d’aggraver les dégâts. Les membres de la Plateforme Haïti se mobilisent, avec leurs partenaires haïtiens. Un appel aux dons a été lancé par Solidarité Protestante.

Membres d’ADRA Haïti dans la zone frappée par le séisme – ADRA Haïti

Haïti a besoin de vous : apportez votre aide par un don à Solidarité Protestante

 

Depuis le samedi 14 août, la terre tremble dans le sud d’Haïti. Rien de comparable avec le séisme qui a frappé l’île ce jour-là – 7,2 sur l’échelle de Richter, soit une magnitude équivalente à celle du tremblement de terre dévastateur de 2010 ; mais ces répliques qui se succèdent accroissent les dégâts, fragilisent les immeubles lézardés et réduisent l’espoir de trouver des survivants dans les décombres. Le nombre des victimes recensées augmente d’heure en heure : la protection civile haïtienne fait état ce mardi 17 août de 1419 morts et de plus de 6900 blessés. Seuls 18 rescapés ont été extraits des gravats au cours des dernières 48 heures. Les dégâts matériels, eux, sont colossaux : plus de 37.000 maisons détruites, près de 47.000 autres endommagées, à quoi il faut ajouter les dommages subis par de nombreux bâtiments publics. La situation des hôpitaux est tout particulièrement préoccupante : en tout, vingt-cinq structures sanitaires ont été affectées. Et les équipes médicales doivent faire face à l’arrivée des blessés alors même qu’elles peinaient à accueillir les malades du Covid-19.

Des bâtiments entiers ont été transformés en gravats – ADRA Haïti

Contrairement au séisme de 2010, celui de ce mois d’août 2021 n’a pas frappé directement la capitale Port-au-Prince ; mais la secousse qui a été enregistrée à 13 km au sud-sud-est de Petit-Trou-de-Nippes, dans le département des Nippes, à 10 kilomètres de profondeur, a fortement impacté une zone répartie sur trois départements (Sud, Grand’Anse et Nippes), où vivent deux millions de personnes. Et les besoins sont immenses : il faut de l’eau, de la nourriture, et des abris pour plus de 75.000 familles sinistrées. Quant aux habitants qui ont encore un toit, ils redoutent de dormir dans des bâtiments endommagés. La tempête Grace qui menace, et dont l’approche se traduit déjà par des pluies diluviennes, rend leur choix d’autant plus difficile.

L’appel aux dons de Solidarité Protestante

Diverses agences humanitaires chrétiennes coordonnées par ACT Alliance et qui ont déjà une présence sur l’île (comme Global ministres, Church World Service, la fédération luthérienne mondiale-Amérique centrale ou l’Église méthodiste unie) ont d’ores et déjà lancé une récolte de fonds et prévoient d’envoyer du matériel via la République dominicaine. Le protestantisme français n’est pas en reste : la Plateforme Haïti, qui fait le lien entre les organisations protestantes de France et d’Haïti sous l’égide de la Fédération Protestante de France, s’est réunie ce mardi 17 août pour coordonner les efforts des organisations protestantes françaises et haïtiennes ; un appel aux dons a été lancé par Solidarité Protestante.

Les zones touchées par le séisme – Carte établie par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU

Facteur aggravant, de nombreuses ONG ont dû déserter Haïti du fait de la violence des gangs. Une insécurité qui risque aujourd’hui de mettre en péril l’acheminement de l’aide d’urgence : si le gouvernement a envoyé des vivres et des médicaments vers la zone touchée par le séisme, la route menant vers le sud depuis Port-au-Prince passe par le quartier Martissant, qui est précisément contrôlé par un groupe armé. En attendant les fournitures d’urgence, ainsi que l’aide humanitaire et les personnels promis par de nombreux pays – dont les États-Unis, la Républicaine dominicaine, le Mexique ou l’Équateur – ce sont les organisations présentes sur place qui font face aux besoins les plus pressants.

Réunion de crise des membres d’ADRA – ADRA Haïti

Divers partenaires de la Plateforme Haïti sont précisément dans ce cas. Comme ADRA-Haïti, active dès à présent dans la zone du sinistre, où elle s’occupe de rechercher les victimes et de distribuer des vivres. Elle travaille aussi en lien avec l’hôpital adventiste de Diquini pour la prise en charge des blessés – les cas les plus graves étant évacués vers Port-au-Prince. Le siège national de cette organisation étant installé au-delà de Martissant permet à ADRA Haïti de mieux acheminer les aides dans la région touchée par le séisme. Autre membre de la Plateforme Haïti, la Mission Biblique est en lien étroit avec l’UEBH (l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti) qui représente un réseau de plus de 200 Églises locales et permet d’avoir une vue globale des besoins sur place. Le SEL est pour sa part en lien avec Compassion Haïti, ainsi qu’avec le RIHPED (Réseau Intégral Haïtien pour le Plaidoyer et l’Environnement Durable) qui rassemble des acteurs comme la FEPH (la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, qui regroupe quelque 3000 établissements), l’UEBH et le CEEH (Concile des Églises Évangéliques d’Haïti).

Ces divers intervenants agissent pour l’heure dans l’urgence, en évaluant les besoins et en parant au plus pressé. Tous évoquent la nécessité de faire parvenir au plus vite de l’eau, de la nourriture, des tentes dans les zones sinistrées. Mais aussi de tirer les leçons de la réponse humanitaire face au séisme de 2010, dans un contexte rendu plus difficile aujourd’hui du fait de l’instabilité politique, de la menace des groupes armés et de la situation de crise sanitaire due au Covid-19.

Ci-dessous, retrouvez les dernières images fournies par des organisations chrétiennes en Haïti :

 

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Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Robert Louinor : «Rester en prière avec les Églises haïtiennes»

Robert Louinor, ancien boursier du Défap, est venu d’Haïti pour faire un master 2 Recherche à l’Institut Protestant de Théologie, qu’il a achevé en 2017. Au moment de l’assassinat du président Jovenel Moïse, il était sur le sol français, et s’est retrouvé dans l’incapacité de rejoindre sa famille.

Robert Louinor – DR

Quelles sont les nouvelles que vous avez reçues d’Haïti depuis la mort du président ?

Robert Louinor : La situation y est très compliquée, avec beaucoup d’inquiétudes et beaucoup de tensions chez les Haïtiens. Les troubles sont allés croissant depuis le 7 février, date qui aurait dû marquer la fin du mandat de Jovenel Moïse, selon ses opposants qui le jugeaient depuis lors illégitime. Il y a eu de plus en plus d’assassinats, de plus en plus d’enlèvements, une très grave insécurité… Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment ce qu’on pourrait faire.

Avez-vous des nouvelles de votre famille ?

Robert Louinor : Ma famille est dans le Nord, et pour le moment, tout va bien. Mais je m’inquiète beaucoup pour mon épouse, qui est seule, et mon fils de 7 mois, que je n’ai toujours pas pu voir. D’après ce que m’a dit mon épouse au téléphone, dans la région où elle se trouve, tout fonctionne au ralenti, les gens redoutent de sortir dans la rue et d’y tomber dans un guet-apens. Ils restent chez eux, ne vont plus au marché, redoutent les réactions de l’armée, de possibles représailles après l’assassinat du président.

Depuis combien de temps êtes-vous séparé de votre famille ?

Robert Louinor : Je n’ai pas pu être présent à la naissance de mon fils, en novembre, pour cause de restrictions dues au Covid-19, et depuis, il m’a été impossible de me rendre en Haïti. J’ai tenté de programmer un voyage en février, mais j’ai dû le reporter une première fois car Haïti connaissait alors une période de très grave insécurité, avec de très nombreux cas d’enlèvements contre rançon. Il y a quelques jours à peine, je devais enfin partir rejoindre ma famille, mais un pasteur avec lequel je suis en contact en Haïti m’en a dissuadé : il m’a raconté qu’un groupe armé avait fait irruption en plein culte pour contraindre les fidèles à rentrer chez eux. Il m’avait conseillé d’attendre encore avant de venir, m’assurant qu’il me donnerait des nouvelles lorsque la situation serait quelque peu stabilisée. Et depuis, le président Moïse a été tué, les frontières avec la République dominicaine ont été fermées… Je n’ai pas pu voir ma famille depuis des mois et je ne sais pas quand je pourrai retrouver mon épouse et mon fils.

Face à la situation d’Haïti, que peut-on faire ?

Robert Louinor : Je pense que la première chose, c’est de rester en prière avec les Églises haïtiennes, pour qu’elles puissent retrouver la paix de l’esprit et du cœur. En ce qui concerne la société haïtienne, elle est remplie de peurs, et elle a besoin d’un message de paix. Il faut maintenir le contact, rester solidaire avec le protestantisme haïtien qui est en train de traverser une période très difficile.

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Haïti : après l’assassinat du président, la crise humanitaire?

La mort du président haïtien est survenue alors que la violence des gangs va croissant depuis un mois à Port-au-Prince. Conséquence directe : les actions d’aide en faveur des Haïtiens les plus vulnérables risquent d’être bloquées.

Vue de Port-au-Prince – DR

Haïti est un pays où la crise est permanente et multiforme : crise politique, crise économique, crise sécuritaire, crise sanitaire… crise humanitaire. Depuis le départ de la Minustah, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, le pouvoir effectif dans la rue a été peu à peu conquis par des gangs (on en recense près de 200) qui se livrent une guerre sans merci, sous le regard d’une police impuissante, au point que des quartiers entiers de Port-au-Prince sont sous leur contrôle et que l’on parle désormais de «déplacés», comme dans un pays en guerre, pour désigner les milliers d’habitants qui ont dû fuir les violences, laissant tout derrière eux, et sont contraints de survivre sans toit. Une recrudescence des affrontements entre groupes armés a laissé certains quartiers en ruines, avec des centaines de maisons incendiées ou endommagées ; plus de 15.000 femmes et enfants ont été contraints de fuir leur foyer ; 80% de ces déplacés se sont retrouvés sans logement suite aux combats des quatre dernières semaines. Mais avec la mort du président Jovenel Moïse, abattu dans sa résidence privée par un groupe lourdement armé au cours d’une véritable opération commando qui a duré près de deux heures, sans intervention de la police (un commissariat est pourtant présent dans le quartier) ni de l’armée, le niveau d’instabilité atteint par le pays menace désormais de bloquer des aides cruciales pour des millions d’habitants parmi les plus vulnérables. Depuis cet assassinat, la police a arrêté 18 Colombiens et trois Haïtiens-Américains, dont un médecin vivant en Floride et récemment revenu sur le sol haïtien, Christian Emmanuel Sanon, accusé d’avoir recruté des mercenaires pour faire chuter la présidence.

«Il s’agit de la pire crise humanitaire que le pays ait connue au cours des dernières années, et elle s’aggrave de semaine en semaine», selon Bruno Maes, représentant en Haïti de l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance). On estime que pas moins de 4,4 millions d’Haïtiens risquent de se retrouver privés d’une aide d’urgence cruciale du fait de l’insécurité et des fermetures de frontières. Les plus fragiles étant souvent les enfants et les mères célibataires. «La vie de nombreux enfants dépend de l’aide humanitaire et d’articles essentiels comme les vaccins, les seringues, les médicaments et les aliments thérapeutiques, détaille Bruno Maes. Mais quand les gangs se battent dans la rue et que les balles sifflent, il est difficile d’atteindre les familles les plus vulnérables avec ces fournitures vitales. À moins que les organisations humanitaires n’obtiennent un passage sûr, des milliers d’enfants continueront de recevoir peu ou pas d’assistance.»

Violences, crise sanitaire et crise humanitaire se cumulent

L’Unicef s’alarme de la situation humanitaire désastreuse que connaissent les enfants et de nombreuses familles en Haïti, et qui se détériore rapidement depuis le début de l’année. Au cours des trois premiers mois de 2021, le nombre d’admissions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë dans les établissements de santé à travers Haïti a augmenté de 26% par rapport à l’année précédente. Il faut ajouter à cela le piètre état des infrastructures (qu’il s’agisse d’approvisionnement en électricité, en eau, d’évacuation des déchets, ou des voies de circulation) responsable à lui seul d’une véritable catastrophe sanitaire, en provoquant une épidémie de maladies diarrhéiques fatales pour de nombreux enfants, ainsi qu’une forte hausse de la mortalité infantile et maternelle. Et parallèlement à cette vague de violence qui va croissant depuis juin, et a culminé récemment avec l’assassinat du président Jovenel Moïse, la pandémie de Covid-19 se développe elle aussi dans le pays : fin juin, plus de 18.500 cas confirmés et 425 décès avaient été signalés. Les principaux hôpitaux dédiés au Covid-19 sont saturés et font face à une pénurie d’oxygène. Certains patients meurent parce que la violence des gangs empêche les ambulances de les atteindre avec de l’oxygène et des soins d’urgence. «Haïti est le seul pays de l’hémisphère occidental où aucune dose du vaccin COVID-19 n’a été distribuée. C’est inacceptable», s’indigne Bruno Maes. «La violence des gangs à Port-au-Prince et dans ses environs est susceptible de retarder encore davantage l’arrivée des vaccins contre le Covid-19 et de compliquer leur distribution à travers le pays.»

Qu’en est-il des partenaires du protestantisme français en Haïti ? Ils survivent au jour le jour, comme le souligne le pasteur Philippe Verseils, appelant à «mettre en place des formes d’aide» adaptées à cette situation d’urgence. Bon connaisseur d’Haïti, où il a passé deux ans comme envoyé du Défap, et où il entretient encore de nombreux liens, il estime qu’aujourd’hui, «les partenaires haïtiens du protestantisme français ont besoin d’un soutien financier sortant du cadre trop strict des dispositifs d’aide habituels, qui impliquent la fixation d’objectifs, des règles précises de contrôle (…) On ne peut pas parler d’objectifs et de budget quand se pose la question de la survie immédiate.» Il appelle tout particulièrement à aider les orphelinats soutenus par La Cause, dont les enfants «sont dans des situations terribles». Sylvain Cuzent, qui lui a succédé en 2013, appelle pour sa part à «ne pas se laver les mains de ce qui se passe en Haïti».

La Fédération Protestante de France a déjà fait parvenir, la semaine dernière, un message de soutien à la Fédération Protestante d’Haïti ; et la Plateforme Haïti, qui dépend de la FPF et que coordonne le Défap, devrait se réunir prochainement.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Sylvain Cuzent : «On ne peut pas se laver les mains de ce qui se passe en Haïti»

Sylvain Cuzent a pris la suite du pasteur Verseils en Haïti à partir de 2013. Il plaide aujourd’hui pour que l’on continue à parler d’Haïti, en dépit de circonstances qui pourraient inciter à baisser les bras, et rappelle l’histoire commune, bien que douloureuse, qui unit la République française et la République d’Haïti.

Les abords de la résidence du président Jovenel Moïse après son assassinat – DR

Quelle est votre réaction après l’annonce de la mort du président Jovenel Moïse ?

Sylvain Cuzent : Avec cet assassinat, Haïti plonge dans l’inconnu. Tout semble prêt pour l’arrivée d’un nouveau dictateur. C’est tout simplement dramatique et je suis bouleversé par cette situation, tout comme les amis haïtiens avec lesquels j’ai été en contact ; mais on sentait que la situation du pays pouvait déboucher sur un tel drame. Voilà des années qu’elle se dégrade, on a assisté dernièrement à une multiplication des enlèvements, des demandes de rançon, à la répression des manifestations, à la hausse de la corruption au sein de la police… Sur le plan politique, plus aucune règle démocratique n’était respectée et le président, après avoir réduit à l’impuissance le Parlement, aurait vu son pouvoir encore conforté par le référendum annoncé pour septembre. On avait là un dirigeant qui considérait que le pays était sa propriété personnelle. En fait, quand la Minustah, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, a plié bagages en 2017, le pays s’est retrouvé livré aux ex-Tontons Macoute [milices paramilitaires mises en place par le président Duvalier et qui avaient servi à terroriser toute opposition] ou aux gangs que le président Jean-Bertrand Aristide avait mis en place pour asseoir son pouvoir. L’armée est impuissante, la police de même, la corruption est partout et il y a des armes qui circulent à ne savoir qu’en faire. Au sein de la population, la misère est telle que les gens sont prêts à tout pour s’en sortir.

Y a-t-il des pistes pour agir ?

Sylvain Cuzent : La situation est devenue telle qu’aujourd’hui, les Haïtiens eux-mêmes ne savent plus par quel bout la prendre. Même ceux qui voudraient proposer des solutions ne savent pas comment se faire entendre. C’est ce qu’on a vu lors de la dernière élection présidentielle : il y avait 72 candidats – un véritable émiettement politique, chacun prétendant apporter sa solution…

Je me souviens qu’en 2013, lorsque j’étais arrivé en Haïti pour la première fois, j’avais demandé à un pasteur membre de la FPH, la Fédération Protestante d’Haïti : que faudrait-il faire pour sortir Haïti du marasme ? Il m’avait dit : il faudrait un pouvoir fort. Je lui avais fait remarquer qu’un pouvoir fort, Haïti en avait déjà eu et n’allait pas mieux ; qu’il faudrait surtout une éducation à la démocratie… Dès lors, j’avais été chargé de faire de l’éducation à la démocratie auprès des étudiants en théologie. Mais aujourd’hui, c’est toute la population qui aurait besoin d’une telle éducation, alors même que le système éducatif est défaillant…

En France aussi, il faudrait mobiliser pour Haïti. Depuis quelques mois, je rêve de créer un comité pour le remboursement de la véritable rançon qu’on a imposée à Haïti pour son indépendance, et dont le paiement s’est étalé de 1825 à 1950, afin de soi-disant indemniser les propriétaires français qui y avaient perdu leurs exploitations. L’économiste Thomas Piketty a chiffré précisément le montant de ce que la France devrait à la République d’Haïti : 30 milliards d’euros. Bien sûr, un tel remboursement aujourd’hui serait impossible à envisager – pas avant d’avoir reconstruit l’État haïtien, faute de quoi l’argent se perdrait ; mais un comité de ce genre serait un bon moyen de faire parler d’Haïti.

Est-ce important aujourd’hui de parler d’Haïti ?

Sylvain Cuzent : C’est très important. Il est très important de parler de la responsabilité de la France vis-à-vis d’Haïti : car la France reste dans ce pays une référence. L’histoire d’Haïti est liée à celle de la France, depuis la révolte contre Napoléon et la lutte contre les armées napoléonienne pour obtenir l’abolition effective de l’esclavage, jusqu’à aujourd’hui. La France n’a jamais aidé Haïti à dépasser ses divisions entre descendants d’esclaves, de métis ; et pourtant, il ne faut pas oublier que la devise de la République haïtienne, c’est : «Liberté, égalité, fraternité» ; et pas davantage que les couleurs du drapeau haïtien sont le bleu, le blanc et le rouge… Ce n’est pas un hasard si l’un des plus grands auteurs haïtiens, Dany Laferrière, est membre de l’Académie française. On ne peut pas se laver les mains de ce qui se passe en Haïti. Malgré toutes ses difficultés, c’est un pays qui reste riche de potentialités, courageux ; et malgré la dureté du quotidien, on ne voit pratiquement personne mendier dans les rues…




Philippe Verseils : «Il faut aider nos partenaires haïtiens à survivre»

Le pasteur Philippe Verseils, qui fait partie de la commission animation théologique et spirituelle de la Mission populaire évangélique de France, après en avoir été le secrétaire général, connaît bien Haïti… et le Défap. Il a travaillé une dizaine d’années au sein du Service Protestant de mission entre les années 90 et 2000, avant d’être envoyé du Défap en Haïti deux ans à partir de 2010. Une expérience et des rencontres qui l’ont durablement marqué, et un engagement pour ce pays qui, depuis lors, ne se dément pas.

Une rue de Port-au-Prince, septembre 2015 © Défap

Quelle est votre réaction après l’annonce de la mort du président Jovenel Moïse ?

Philippe Verseils : J’y vois en premier lieu le signe de l’enlisement complet d’Haïti dans une guerre des gangs soutenue et orchestrée au plus haut niveau, dont aujourd’hui le président haïtien est victime, mais dont auparavant il a été acteur. Il avait plus ou moins dit la semaine dernière qu’il ne laisserait pas les gangs prendre le dessus : sa mort me semble le signe que justement, les gangs disposent aujourd’hui du pouvoir effectif. Ils n’hésitent pas à attaquer des commissariats, le Parlement a été empêché de se réunir dans ses propres locaux… Et c’est dans la police, dans l’armée, dans la classe politique qu’ils ont leurs appuis. On assiste à mon sens à la mise en place d’une véritable guerre civile.

Mais il y a une deuxième chose que je voudrais dire : la France n’a pas assez réagi. On peut toujours déplorer officiellement la mort d’un président ; mais il y a bien longtemps que les autorités françaises auraient dû avoir des prises de parole et des prises de position beaucoup plus claires vis-à-vis de la dégradation de la situation politique en Haïti. Bien sûr, avec l’état de siège, il est très difficile de savoir ce qui va se mettre en place ; mais cela faisait déjà plus d’une année que les institutions politiques ne fonctionnaient plus.

Quelles réactions peut-on attendre en Haïti même pour sortir de cette crise ?

Philippe Verseils : Il faudrait que les chrétiens [qui sont largement majoritaires en Haïti, protestants et catholiques confondus] réussissent à trouver un consensus, en l’absence de toute perspective d’un consensus politique. C’est ce qui avait été tenté en avril dernier, lorsqu’un groupe de religieux, dont des Français, avaient été enlevés. Il faudrait que toutes les Églises, côté protestant et côté catholique, parviennent à parler d’une seule voix. Et côté français, il faut continuer à faire vivre les liens et manifester notre solidarité vis-à-vis d’Haïti.

Que faire, concrètement ?

Philippe Verseils : Les partenaires haïtiens du protestantisme français ont besoin d’un soutien financier sortant du cadre trop strict des dispositifs d’aide habituels, qui impliquent la fixation d’objectifs, des règles précises de contrôle… Il faut les aider à survivre. Il y a besoin d’argent rapidement pour faire vivre des institutions comme la FPH (la Fédération Protestante d’Haïti), la FEPH (la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti), les orphelinats qui sont soutenus par La Cause… Les enfants de ces orphelinats, par exemple, sont dans des situations terribles. On ne peut pas parler d’objectifs et de budget quand se pose la question de la survie immédiate.

Je me souviens qu’en septembre-octobre 2010, quand j’étais arrivé en Haïti, c’est justement la question qui avait été posée par un journaliste au directeur d’un orphelinat avec lequel un partenariat débutait – cette question du budget… Le directeur avait très finement répondu : je ne comprends pas cette question. Et il avait aussitôt détaillé : si vous me demandez de quoi j’ai besoin demain pour faire vivre les 45 enfants qui sont sous ce toit, il me faut 600 dollars. Aujourd’hui, j’ai sur mon compte 350 dollars ; et je viens de donner 120 dollars à l’un des jeunes pour qu’il puisse s’inscrire au collège. J’espère que demain, j’arriverai à réunir les dollars manquants pour nourrir ces enfants.

Dans les situations d’ultra-précarité, comme c’était le cas en 2010, et comme ça l’est de nouveau aujourd’hui, on ne peut pas établir un budget, on peut pas monter un projet : il faut vivre au jour le jour. Tout peut changer d’un jour sur l’autre parce qu’un enfant est malade, parce qu’il faut acheter plus de riz : tout est imprévisible. Il faut mettre en place des formes d’aide qui en tiennent compte.




Rodrigue Valentin : «Les efforts pour Haïti ne sont pas vains»

Le nouveau coup qui frappe Haïti ne risque-t-il pas de décourager ceux qui soutiennent ce pays ? Pour le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, les efforts sur le long terme sont utiles et ne doivent pas être abandonnés. Le pasteur Valentin préside la Plateforme Haïti, mise en place par la Fédération Protestante de France et dont la coordination administrative est assurée par le Défap, qui rassemble divers acteurs du monde protestant engagés en faveur d’Haïti.

 

Quelle est votre réaction après l’annonce de la mort du président Jovenel Moïse ?

Rodrigue Valentin : Nous sommes tous choqués. On parle là de l’assassinat d’un président. Et qu’on soit ou non d’accord avec lui, la mort d’un homme, c’est toujours la mort d’un homme. En tant que chrétien, et en tant que pasteur, j’ai toujours considéré que j’avais pour mission de prier pour mon pays, de même que pour le reste du monde ; et c’est en tant que chrétien et pasteur que j’appelle aujourd’hui à prier pour ce pays qui s’enfonce toujours plus dans une situation des plus difficiles.

Car cette mort survient dans un contexte précis : un président qui était accusé par l’opposition politique de continuer à diriger le pays alors même que son mandat aurait dû s’achever le 7 février dernier ; une société haïtienne divisée, de même que l’opposition… Des kidnappings, des gangs faisant la loi, des quartiers entiers rendus inaccessibles, des gens déplacés obligés de vivre à ciel ouvert… Personne ne pouvait se prétendre à l’abri. Pas même le président.

Que peut-on faire pour soutenir les protestants d’Haïti ? Face à une situation aussi incertaine, le risque n’est-il pas de se décourager et de baisser les bras ?

Rodrigue Valentin : On peut toujours faire quelque chose. Ce que les protestants de France ont fait au fil des années, et continuent à faire à travers la Plateforme Haïti, à travers les actions de la Fédération Protestante de France, du Défap, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau. Je préside cette Plateforme depuis 2008 ; mais bien avant cela, j’avais déjà appris à travailler pour trouver des solutions afin d’aider mon pays natal. Comme je suis également coordinateur international de la FPH (la Fédération Protestante d’Haïti), je suis en contact permanent à la fois avec le protestantisme français et avec les instances représentatives du protestantisme haïtien ; et je peux voir toutes les actions qui sont lancées ces jours-ci par la Plateforme et par ses membres. Nous avons eu il y a peu plusieurs rencontres en distanciel, parfois présidées par le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération Protestante de France.

Quelles sont les pistes pour aider ?

Rodrigue Valentin : Pour être à la fois témoin de ce que vit Haïti, et acteur aux côtés de la FPF et de la FPH, je dirais : Haïti a d’abord besoin d’un accompagnement spirituel. Ensuite, au-delà du spirituel, il y a des besoins profonds auxquels il faut pourvoir : l’homme ne vivra pas de pain seulement… mais du pain, il en faut aussi. Récemment, nous étions justement en train de voir avec le pasteur Clavairoly comment accompagner Haïti dans sa traversée du désert. Des pistes sont déjà sur la table ; une demande a été faite officiellement par la FPH, et une assistance financière vient juste d’être débloquée. Il ne s’agit pas seulement d’une assistance ponctuelle ; c’est un soutien qui tient compte des besoins et de la conjoncture que connaît actuellement le pays. Tout cela, ce sont des efforts qui ne sont pas vains.




La mort de Jovenel Moïse, saut dans l’inconnu pour Haïti

Le pays est en état de siège depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, attaqué par un commando dans sa résidence de Pétionville. Le Premier ministre démissionnaire est toujours à la tête du gouvernement et son successeur nommé l’appelle au dialogue. Les institutions politiques sont bloquées et la société haïtienne fonctionne au ralenti, dans un contexte d’insécurité accrue. Une période incertaine aussi pour les partenaires haïtiens du protestantisme français, qui ont plus que jamais besoin de soutien…

Policiers déployés à Port-au-Prince après l’assassinat de Jovenel Moïse – DR

Des rues désertées, des habitants qui redoutent de sortir de chez eux pour aller au marché, une présence policière renforcée dans la ville : au lendemain de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, la capitale Port-au-Prince a des aspects de ville morte. L’état de siège a été déclaré par Claude Joseph, Premier ministre intérimaire ; et pendant que les réactions internationales se multiplient, condamnant l’assassinat, le futur de tout le pays – un pays aux rouages bloqués, livré à une meurtrière guerre des gangs – apparaît toujours plus incertain.

La mort du chef de l’État haïtien a été annoncée par Claude Joseph dans un communiqué au matin du mercredi 7 juillet : «Le président a été assassiné chez lui par des étrangers qui parlaient l’anglais et l’espagnol. Ils ont attaqué la résidence du président de la République», a-t-il affirmé. Le commando qui a pris d’assaut, dans la nuit de mardi à mercredi vers les 1 heure du matin, la résidence privée de Jovenel Moïse dans le quartier Pèlerin 5 à Pétionville, disposait d’armes de guerre et a échangé des tirs avec les forces spéciales de police chargées d’assurer la sécurité du président. Divers témoignages d’habitants du quartier ont évoqué une très longue fusillade, jusqu’à deux heures de coups de feu, ajoutant qu’un des membres du commando aurait pris un mégaphone pour crier à «tout le monde de rester à couvert» et pour affirmer, en anglais et en espagnol, qu’une «opération de la DEA» était en cours, faisant référence à l’agence fédérale américaine chargée de la lutte contre les trafics de drogue. Après les combats, le président a été retrouvé le corps criblé d’une douzaine d’impacts de balles ; son épouse, blessée, a été évacuée vers un hôpital de Floride. Des combats sporadiques se sont poursuivis dans le quartier entre les membres du commando et la police. Peu après l’annonce de la mort de Jovenel Moïse, le directeur général de la police nationale d’Haïti, Léon Charles, a fait état de la mort de quatre des assaillants, identifiés comme des «mercenaires», et de l’arrestation de deux autres. Le ministre de la Culture et de la Communication, Pradel Henriquez, a évoqué la présence d’Haïtiens au sein du commando.

Les incertitudes de l’après-Jovenel Moïse

Si Jovenel Moïse était de plus en plus contesté, accusé de dérives dictatoriales et d’encourager le chaos, sa mort n’en représente pas moins pour tout le pays un saut dans l’inconnu.

Inconnu sur le plan politique : les institutions sont bloquées, muselées, et le chef de l’État, dont le mandat aurait dû s’achever le 7 février dernier selon l’opposition politique, gouvernait par décrets sans passer par le Parlement, après avoir laissé passer la date du scrutin censé permettre le renouvellement de la Chambre des députés et de deux tiers des sénateurs. Un référendum constitutionnel annoncé pour le 26 septembre prochain, en même temps que le premier tour de l’élection présidentielle, et déjà reporté à deux reprises pour cause de crise politique, devait renforcer encore les prérogatives de l’exécutif. Accusé, au mieux, de passivité face au pouvoir croissant des gangs contrôlant des quartiers entiers de Port-au-Prince, Jovenel Moïse avait changé trois fois de Premier ministre au cours des quatre dernières années. À l’avant-veille de son assassinat, il avait d’ailleurs choisi un nouveau chef du gouvernement, un médecin neurologue, le Dr Ariel Henry, nommé le lundi 5 juillet. Un Premier ministre nommé mais qui n’avait pas encore eu le temps de former son gouvernement ; or avec la mort du chef de l’État, c’est son prédécesseur assurant l’intérim, Claude Joseph, qui a pris les rênes du gouvernement et décrété l’état de siège. Une mesure contestée par le Premier ministre nommé, Ariel Henry, lequel a appelé son prédécesseur au dialogue «pour arriver à un accord qui nous permettra d’aller dans un meilleur climat aux élections».

Inconnu pour la société haïtienne : depuis l’annonce de la mort du chef de l’État, tout fonctionne au ralenti. Le simple fin de sortir dans la rue apparaît comme dangereux. Que peut-il arriver pendant cette période de l’état de siège, alors que l’insécurité n’a fait que croître tout au long de l’année écoulée, avec une emprise croissante des gangs, une multiplication des kidnappings et rackets, une corruption galopante dans tous les secteurs ? Alors même que le quotidien est fait de pénuries, que les coupures d’eau, d’électricité se multiplient, que les denrées de base ont vu leur prix s’envoler avec l’inflation ? Alors que la société haïtienne est toujours plus inégalitaire et que les lacunes en matière d’éducation condamnent 4 Haïtiens sur 10 à ne pas savoir lire ? Avec un produit intérieur brut par habitant de 1149,50 dollars et un indice de développement humain de 170 sur une liste de 189 pays, Haïti reste le pays le plus pauvre de la région de l’Amérique latine et des Caraïbes et parmi les pays les plus pauvres du monde… Et la pandémie de Covid-19, face à laquelle les autorités sanitaires semblent démunies (le pays n’a toujours pas commencé de campagne de vaccination) n’a fait qu’aggraver les inégalités et la pauvreté.

Inconnu, enfin, pour les partenaires du Défap et du protestantisme français : si Haïti est considérée depuis longtemps comme «zone rouge» par le ministère français des Affaires étrangères, ce qui y limite les voyages aux seuls cas de nécessité absolue, les Églises tentent sur place de pallier les carences de l’État en matière d’action sociale, d’éducation, de protection de l’environnement : autant d’actions cruciales pour le pays. À travers la Plateforme Haïti, mise en place par la Fédération protestante de France en lien avec celle d’Haïti, et coordonnée par le Défap, les protestants de France peuvent les soutenir : c’est ainsi que la Mission Biblique développe sur place des projets sociaux, d’enseignement et de santé en partenariat avec l’UEBH (l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti). De même, avec le soutien du Défap, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (la FEPH), à travers son réseau de 3000 écoles protestantes, revendique la scolarisation de 300.000 enfants. La Fondation La Cause soutient des orphelinats… Pour toutes ces actions en Haïti, le soutien des partenaires étrangers demeure crucial en dépit des circonstances – et il l’est d’autant plus en cette période d’incertitude.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Comment aider Haïti ?

Alors que le président Jovenel Moïse devait rendre le pouvoir le 7 février, selon le conseil supérieur du pouvoir judiciaire haïtien, il est toujours en place et gouverne par décrets. La violence grandit dans le pays et les rapts organisés par des gangs sont de plus en plus nombreux : en témoigne l’enlèvement récent de dix personnes, dont sept religieux. Dans un contexte de pauvreté et de pénuries croissantes, manifestations et grèves appellent à la fois à la libération des otages et au départ du président. Le Défap, en lien avec ses partenaires de la Plateforme Haïti, suit de près l’évolution de la situation.

S’il est une activité qui prospère en ce moment en Haïti, c’est celle du kidnapping. Activité fort lucrative, aux mains d’une centaine de gangs régnant chacun en maîtres sur leur territoire, qu’ils défendent en se livrant à de véritables batailles rangées. Jusque dans la capitale, Port-au-Prince, ils contrôlent des quartiers entiers. Voilà des mois que le nombre de ces enlèvements crapuleux va croissant. Si des échos en sont parvenus dernièrement jusqu’en France, où les autorités se sont mobilisées, c’est parce que parmi leurs victimes les plus récentes figurent des ressortissants français ; l’enlèvement, à peu près deux semaines plus tôt, de trois membres de l’Église pentecôtiste dont un pasteur, n’avait pas eu un tel retentissement. Reste qu’en Haïti même, ce dernier rapt de dix personnes, parmi lesquelles sept religieux catholiques (cinq Haïtiens ainsi qu’une nonne de la Mayenne et un prêtre de l’Ille-et-Vilaine qui vit en Haïti depuis plus de trente ans) a représenté une telle onde de choc qu’elle a entraîné un remaniement gouvernemental. Les représentants des Églises eux-mêmes ne se sentent plus à l’abri de ces rapts. Mgr Max Leroy Mésidor, archevêque de Port-au-Prince, constatant que «la violence des bandes armées prend une proportion sans précédent», a fustigé : «Les autorités publiques qui ne font rien pour résoudre cette crise ne sont pas à l’abri de tout soupçon. Nous dénonçons les complaisances et les complicités d’où qu’elles viennent». La Conférence haïtienne des religieux a exprimé son «profond chagrin, mais aussi sa colère».

L’enlèvement a eu lieu le dimanche 11 avril. Les dix personnes se rendaient alors à la cérémonie d’installation d’un jeune curé dans sa nouvelle paroisse, à Galette-Chambon. L’attaque a eu lieu à la Croix-des-Bouquets, un secteur contrôlé par un gang connu sous le nom de la «400 Mawazo». Le soir-même, Loudger Mazile, porte-parole de la conférence épiscopale d’Haïti, annonçait que les ravisseurs réclamaient 1 million de dollars de rançon. Depuis, la famille d’une des otages, une septuagénaire haïtienne, a réussi à réunir 50.000 dollars pour obtenir sa liberté ; mais les autres restent captifs. Quatre des ecclésiastiques sont membres de la société des prêtres de Saint-Jacques, en mission en Haïti. Parmi les sept religieux toujours séquestrés, deux prêtres sont de santé fragile : l’un a besoin de soins après une blessure par balle à l’abdomen, l’autre, diabétique, est sous insuline.

Des Églises mobilisées contre les dérives dictatoriales

Face au choc suscité par ce dernier enlèvement, le président Jovenel Moïse s’est dit «conscient que l’État doit faire plus d’efforts». Le mercredi 14 avril, le premier ministre, Joseph Jouthe, a remis sa démission, aussitôt remplacé par Claude Joseph, l’ancien ministre des affaires étrangères. L’Église catholique, pourtant d’ordinaire très réservée, a lancé un appel à la grève générale pour réclamer la libération des otages ; un appel qui a été très suivi à travers le pays, pendant que les messes prenaient des allures de meetings politiques réclamant le respect de la Constitution – en clair : le départ du président.

L’événement en dit long sur la contestation visant le chef de l’État, accusé de dérives dictatoriales et d’encourager le chaos : impossibilité de tout dialogue entre Jovenel Moïse et l’opposition politique, paralysie d’institutions comme le Parlement et le Sénat qui ont été réduites au silence, pendant que le président, dont le mandat aurait dû s’achever le 7 février, continue à gouverner par décrets… Côté protestant, une Commission protestante contre la dictature en Haïti (CPCDH) réunit depuis la mi-février la Conférence et la Fédération des pasteurs haïtiens ainsi que le Conseil national spirituel des Églises d’Haïti. La dernière tentative en date de susciter un dialogue réunissant les partis politiques de l’opposition, la société civile, le pouvoir et les partis politiques proches du pouvoir, lancée par la plateforme interreligieuse Religions pour la paix, s’est soldée par un échec.

Au quotidien, la population haïtienne doit endurer cette insécurité endémique, les multiples pénuries aggravées encore par les effets de la pandémie de Covid-19, les coupures d’eau ou d’électricité, le mauvais état des infrastructures, la mauvaise qualité des services publics et la corruption, une pauvreté grandissante, une inflation galopante… Un symbole parmi d’autres : le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti a annoncé la mise en circulation prochaine de nouveaux billets de 2500 et 5000 gourdes, la monnaie haïtienne. Mais au taux de change actuel, le billet de 2500 gourdes ne vaudrait guère plus en dollars que ce que valaient les billets de 1000 gourdes imprimés en 2005 ; et guère plus que les billets de 100 gourdes en 1991… Près de deux tiers des 11 millions d’habitants du pays vivent avec moins de 2,41 dollars par jour. Mais bien qu’épuisés, les Haïtiens trouvent encore la force de manifester.

Comment aider ?

Depuis longtemps, ce sont les Églises qui tentent de pallier les carences de l’État en matière d’action sociale, d’éducation, de protection de l’environnement : autant d’actions cruciales pour Haïti où la profonde crise que traverse le pays frappe d’autant plus durement les plus fragiles. Et si Haïti est considérée comme «zone rouge» par le ministère français des Affaires étrangères, ce qui y limite les voyages aux seuls cas de nécessité absolue, c’est en soutenant ces institutions liées aux Églises qu’il est possible d’aider malgré tout. Elles-mêmes ne sont pas à l’abri des pénuries et de la violence, mais elles se consacrent avec dévouement à semer des graines d’espérance. Le soutien de partenaires étrangers est pour elles nécessaire. Ainsi, la Mission Biblique développe sur place des projets sociaux, d’enseignement et de santé en partenariat avec l’UEBH (l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti). Avec le soutien du Défap, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (la FEPH), à travers son réseau de 3000 écoles protestantes, revendique la scolarisation de 300.000 enfants – un enjeu majeur pour la formation des futurs citoyens, alors que du fait de la mauvaise qualité de l’enseignement public, l’analphabétisme concerne près de 4 Haïtiens sur 10. ADRA a développé un programme efficace de reboisement, dans un pays où la couverture végétale n’excède pas 2% du territoire – une déforestation qui aggrave encore les effets des fréquents cyclones…

Ce qui relie ces différents acteurs, c’est la Plateforme Haïti, mise en place par la Fédération protestante de France en lien avec celle d’Haïti, et coordonnée par le Défap. Elle permet un partage d’informations, des actions en commun, des récoltes de fonds pour les projets en cours sur place… La Mission biblique en est membre, ainsi qu’ADRA-France, mais aussi la Fondation La Cause pour les orphelinats, le SEL… Au vu de la situation d’urgence que connaît le pays, plusieurs acteurs de cette Plateforme ont déjà eu l’occasion d’échanger en comité réduit, et préparent une réunion plus large au cours des prochains jours.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




L’éducation face aux crise haïtiennes

Il n’y a pas une, mais des crises haïtiennes : crise humanitaire, crise économique, crise politique, crise des institutions… Il y a trois ans, le pays était à la 163ème place au niveau mondial en termes de développement humain : il est désormais 169ème. Face à cette urgence multiforme, l’éducation pourrait être reléguée au second plan. C’est pourtant bien l’éducation qui permettra, à terme, aux Haïtiens de prendre leur destin en main.

Une rue de Port-au-Prince, septembre 2015 © Défap

Préparer l’avenir, en dépit des duretés du quotidien : c’est la difficile tâche des établissements membres de la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, l’un des partenaires clés de la Plateforme Haïti, dont fait partie le Défap. Quels que soient les projets mis en place pour permettre une amélioration de la vie des Haïtiens, leur impact à long terme sera directement lié au niveau d’éducation de la population haïtienne. Un problème que décrit précisément Laënnec Hurbon, sociologue haïtien né à Jacmel, docteur en théologie (Institut catholique de Paris) et en sociologie (Sorbonne), qui est par ailleurs membre fondateur de l’Université Quisqueya à Port-au-Prince : «On pourrait fort bien me dire que mettre le paquet sur l’agriculture trop négligée dans le budget national, ou sur la création d’emplois industriels et la construction des infrastructures suffirait à attirer les investissements afin que le pays connaisse un décollage économique. Je répondrais : j’entends des projets de cette sorte depuis que le concept de développement a pignon sur rue depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. À la vérité, on est enclin à oublier que le développement dans les sociétés occidentales a partie liée avec le développement de l’éducation formelle qui met sur les rails d’une organisation rationnelle de tous les secteurs de la vie économique, culturelle et politique.»

Mais il est vrai que dans la liste des urgences auxquelles le pays est confronté, l’éducation peut facilement passer au second plan. Urgence alimentaire : il y a quelques mois, le Programme Alimentaire Mondial (dépendant de l’Onu) estimait qu’un Haïtien sur trois, soit près de 4 millions de personnes, avait besoin d’une aide pour se nourrir. Les zones les plus concernées par la crise étant le sud du département du Nord-Ouest et les quartiers de Cité Soleil à Port-au-Prince. Dans la seule capitale haïtienne, le PAM évaluait à 850.000 le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire. Urgence économique : selon les données de la Banque Mondiale, Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, avec un produit intérieur brut par habitant de 797 dollars et un indice de développement humain qui le plaçait en 2019 à la 169ème place sur 189. Urgence en termes de sécurité : la criminalité est partout présente, les enlèvements contre demande de rançon sont monnaie courante. Comme le souligne le politiste Frédéric Thomas, chargé d’études au Centre tricontinental /Cetri, «au cours de ces deux dernières années, au moins quatre massacres (le dernier, fin août-début septembre) ont eu lieu dans les quartiers populaires de la capitale, Port-au-Prince, dont le plus meurtrier demeure celui de La Saline, en novembre 2018, qui a fait 71 morts.» Urgence politique : «alors qu’il existe en Haïti un très large consensus contre le président actuel», rappelle ce même chercheur, le chef de l’État Jovenel Moïse, se maintient en renforçant toujours plus son pouvoir, «gouvernant depuis janvier par décrets, avec un pouvoir législatif en tout et pour tout réduit au tiers du Sénat, faute d’avoir organisé des élections parlementaires».

Scandale Petrocaribe : un mouvement de contestation qui dégénère

Ces diverses crises s’alimentent bien sûr les unes les autres. La crise politique actuelle autour du président Jovenel Moïse a ainsi débuté sur fond de pénuries de produits de première nécessité, notamment de carburant, et avec la révélation d’un scandale impliquant plusieurs gouvernements successifs. Il s’agissait de l’affaire Petrocaribe, du nom de l’alliance régionale mise en place entre le Venezuela, premier exportateur pétrolier de la région, et les pays des Caraïbes : un accord qui devait permettre aux 18 États signataires, dont Haïti, de bénéficier de livraisons de pétrole à des tarifs préférentiels et avec des facilités de paiement. Au cours des dix années durant lesquelles Haïti a bénéficié de cet accord avant la révélation du scandale, quelque 3,8 milliards de dollars, qui auraient dû servir à financer des projets locaux de développement, ont disparu. La révélation de cette affaire dans une période d’aggravation des pénuries a déclenché un mouvement social sans précédent, qui s’est traduit par des mois de manifestations et a pu aller jusqu’au blocage complet du pays (le «Pays Lock») pour obtenir le départ du président actuel. Or, celui-ci est toujours là… et le mouvement lancé contre lui a dégénéré, aggravant encore plus les problèmes du quotidien, la pauvreté, les pénuries, tout en devenant prétexte à violences et à pillages. Depuis, la crise du Covid-19 n’a fait que renforcer un peu plus les inégalités : si le pays n’est pas parmi les plus touchés de la région, ce sont les plus pauvres qui sont les plus menacés… La Banque Mondiale estime ainsi qu’au cours de l’année 2020, entre 88 et 115 millions d’Haïtiens auront basculé dans l’extrême précarité, annulant près de trois ans d’efforts en matière de réduction de la pauvreté. 

Mais l’aspect multiforme de cette crise met précisément l’accent sur le besoin pointé par Laënnec Hurbon d’une «organisation rationnelle de tous les secteurs de la vie économique, culturelle et politique». Une organisation qui ne pourra voir le jour sans une amélioration de l’éducation. Voilà à quoi travaille la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, à travers ses 3000 écoles. Voilà pourquoi le Collège évangélique Maranatha, membre de ce réseau et dépendant de l’Union évangélique baptiste d’Haïti, forcé par la violence des gangs de quitter ses locaux historiques du campus de Bolosse, va poursuivre l’accueil des élèves dans un autre quartier de Port-au-Prince. «Lekol pou yo tou» continue sa mission.

Le Défap et la Plateforme Haïti
Des liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

 




Haïti : «Lekol pou yo tou» poursuit sa mission

Installé sur le campus de Bolosse, dans le Sud-Est de Port-au-Prince, depuis 1956, le Collège évangélique Maranatha a dû quitter ses locaux face à la violence des gangs. Il accueille désormais les élèves dans des bâtiments édifiés dans un autre quartier, sur des terrains achetés grâce à des dons. Le Collège Maranatha est membre de la FEPH, une fédération de 3000 écoles qui est partenaire de la Plateforme Haïti, dont fait partie le Défap.

Le collège évangélique Maranatha © Mission Biblique

Le déménagement avait été préparé, des terrains acquis dans un autre quartier de Port-au-Prince pour y construire des bâtiments provisoires afin d’accueillir la section secondaire de l’école à la rentrée scolaire 2020-2021, le 16 novembre ; mais le départ du Collège évangélique Maranatha, forcé de quitter le campus de Bolosse, n’en a pas moins été un symbole douloureusement ressenti. Cet établissement, membre de la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, partenaire de la Plateforme Haïti, dont fait partie le Défap, était présent dans cette partie de la capitale haïtienne depuis 1956 ; mais la situation y était devenue intenable.

«Nous sommes entourés de cinq gangs armés qui s’affrontent régulièrement, à savoir Fort-Mercredi, Grand-Ravine, Ti-Bois, Baz Pilate et le Bicentenaire. Nous sommes en difficulté depuis le mois de mars. Lorsque ces groupes armés lancent les hostilités, le collège n’est pas épargné par les projectiles», a expliqué Armand Louis, directeur du Collège évangélique Maranatha, dans les colonnes du Nouvelliste, quotidien haïtien de référence. Et de même que l’école, le STEP (Séminaire théologique de Port-au-Prince), dépendant comme elle de l’UEBH (l’Union évangélique baptiste d’Haïti) a dû plier bagage : le STEP était présent pour sa part depuis 1942. Lors d’une conférence de presse, le Dr Jacques Louis, président de l’UEBH, a expliqué avec amertume : «Face à l’évolution de la situation dans la zone surtout ces derniers jours, l’UEBH se trouve dans l’obligation de stopper toutes ses activités sur le campus de Bolosse (…) Nos actions sociales dans la zone comme la clinique mobile, l’alphabétisation, le crédit, la construction et la réparation de logements dans la communauté sont aussi à l’arrêt. La situation qui se développe ne favorise pas la transformation de la vie, mais elle détruit des vies». Auparavant, une école catholique avait elle aussi été contrainte d’abandonner le quartier, laissé aux mains des gangs, et dont les accès ont été coupés par des blocs de béton placés sur les principales routes.

Les visites de partenaires étrangers bloquées

Le directeur du collège Maranatha, Armand Louis © Mission Biblique

Le Collège Maranatha était jusqu’alors implanté au Sud-Est de Port-au-Prince, dans un secteur boisé surplombant le quartier de Grande-Ravine, lieu gangréné par des gangs rackettant impunément la population. L’école entretenait ainsi un témoignage essentiel dans une partie très défavorisée de Port-au-Prince, tout en étant elle-même relativement épargnée par les gangs. Mais il y a trois ans presque jour pour jour, c’est l’école elle-même qui s’est retrouvée directement frappée par la violence lorsqu’une opération antigang de la police s’est transformée en fusillade, se traduisant par plusieurs morts au sein de l’équipe éducative et des élèves du Collège Maranatha ; quant au directeur, Armand Louis, il avait été rendu responsable par la police de l’échec de l’opération, et incarcéré ; incarcération à laquelle avait rapidement mis fin une mobilisation d’une large partie du protestantisme haïtien, avec le soutien du ministère de l’Education. Mais à la suite de ces violences, le Collège Maranatha avait subi un pillage en règle. Et dès lors, la tension était restée permanente : une cérémonie de commémoration organisée un an plus tard, en présence d’élus et de représentants de partenaires étrangers, avait ainsi été interrompue par des actions de gangs visant le Collège Maranatha.

L’école pâtit en outre d’une dégradation de la situation sociale qui n’épargne aucun aspect de la vie quotidienne en Haïti ; car depuis le début des manifestations lancées pour réclamer le départ du président Jovenel Moïse suite au scandale Petrocaribe, le pays tout entier s’est enfoncé peu à peu dans une crise dont les opérations «Lockdown» (blocage de toutes les activités d’Haïti par des manifestants) n’étaient que la pointe émergée. Les pénuries se sont aggravées, touchant les biens les plus essentiels (nourriture, électricité, carburant), pendant qu’une inflation galopante faisait plonger une grande partie de la population dans la grande pauvreté, et que le niveau d’insécurité ne faisait que s’accroître. L’arrivée du Covid-19, même si le pays n’est pas parmi les plus touchés, n’a fait qu’accroître les difficultés et les inégalités. Une situation qui empêche, depuis de nombreux mois, les visites de partenaires étrangers : les missions prévues par le Défap dans ce pays sont ainsi suspendues.

Le Collège Maranatha reste un maillon essentiel

Une école d’Haïti après le passage de l’ouragan Matthew, dont la réhabilitation a été financée par le protestantisme français © Laura Casorio pour Défap

Et c’est justement dans un tel contexte que les écoles, comme le Collège Maranatha, ont un rôle crucial à jouer : car pour faire face aux multiples maux de la société haïtienne, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou de santé, l’éducation est primordiale. Comme le souligne Laënnec Hurbon, docteur en sociologie à la Sorbonne, directeur de recherche honoraire au CNRS et membre fondateur de l’Université Quisqueya à Port-au-Prince, «avec un taux d’analphabétisme de 50% (…) le niveau de l’éducation formelle en Haïti est si bas qu’on peut difficilement parvenir à mettre le pays sur les rails du développement (…) Seules 10% des écoles sont publiques, triste record pour un État indépendant depuis plus de deux siècles. Dans le même temps, le secteur éducatif est gangrené par la corruption.» Selon les chiffres de la Banque Mondiale, plus de 200.000 enfants ne sont pas scolarisés ; non seulement les écoles publiques sont une petite minorité, mais en outre le niveau général est tellement faible que moins de 5% d’une classe d’âge obtient le bac.

L’éducation, en Haïti, fait donc elle aussi partie des secteurs sinistrés. Et pourtant, comme le souligne Laënnec Hurbon, «un chemin existe pour le développement d’Haïti : il passe par la mise en place d’une éducation formelle de base identique pour tous les Haïtiens.» Précisément, face à ces lacunes éducatives, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti (dont fait partie le Collège évangélique Maranatha), revendique grâce à son réseau la scolarisation de 300.000 enfants, avec une qualité d’enseignement reconnue. Elle est soutenue directement par le Défap et fait aussi partie des partenaires privilégiés de la Plateforme Haïti, mise en place sous l’égide de la Fédération protestante de France et où le Défap se retrouve aux côtés de divers acteurs du protestantisme français impliqués dans ce pays, comme La Cause ou la Mission Biblique. Ainsi, après le passage destructeur de l’ouragan Matthew sur Haïti en 2016, trois écoles avaient été réhabilitées avec un financement direct de la fondation du protestantisme.

Au-delà du triste symbole que représente son déménagement forcé, le Collège évangélique Maranatha reste donc un maillon essentiel. Dans ses lettres de nouvelles, la Mission Biblique, membre de la Plateforme Haïti qui entretient les liens les plus réguliers avec l’école, se félicite ainsi des dons reçus qui ont permis d’acheter des terrains et de lancer les constructions nécessaires pour accueillir élèves et enseignants dans un autre lieu que le campus de Bolosse ; elle rappelle aussi qu’en dépit des difficultés, les objectifs de réussite de l’école ont été atteints à plus de 90% au cours de l’année scolaire 2019-2020.