Harcèlement, démolition… une famille palestinienne dans la Vallée du Jourdain

Elisabeth Mutschler nous dépeint le drame vécu par une famille palestinienne en Cisjordanie occupée. Elle est envoyée par les Eglises de France dans le cadre du programme EAPPI (Conseil œcuménique des Eglises) en Israël et Palestine.

 

23 septembre 2016

« Nous sommes arrivés très tôt ce matin-là et nous avons rencontré Abu Rasmi. Il vit à Khirbet Tell al Himma dans le nord de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée, juste à côté de l’implantation israélienne de Givaat Salit.  Sa famille vit de l’élevage d’un troupeau de moutons et de chèvres et, en cette fin d’été, les ‘pâturages‘ où ses fils emmènent paître les bêtes sont très secs. Il y aurait bien la possibilité de les emmener de l’autre côté de la colline, sur une terre appartenant à un propriétaire palestinien. Ils ne le peuvent pas malheureusement, en raison du continuel harcèlement que leur font subir les colons de Givaat Salit, en particulier ceux qui viennent d’installer un nouvel avant-poste au pied de la colline. Ils ont tout simplement peur qu’il ne leur arrive quelque chose à eux ou à leurs bêtes ».

« Des membres de l’ONG Ta’ayush* sont présents eux aussi. Ils organisent depuis une quinzaine d’années des ‘land actions’ au sud d’Hébron pour protéger l’accès des Palestiniens à leurs terres, avec un bilan plutôt positif semblerait-il.L’idée ce matin est d’aller faire paître le troupeau d’Abu Rasmi sur cette terre à laquelle ils n’avaient plus accès depuis longtemps. D’après Guy de Ta’ayush, cette action doit être un message qu’il faut envoyer aux colons pour leur faire comprendre qu’on ne leur permettra pas de s’approprier ce lopin de terre comme ils l’ont fait bien des fois, ici et ailleurs, en Cisjordanie.
Un acte de résistance en quelque sorte. La discussion entre Abu Rasmi et Ta’ayush a duré longtemps car lui et sa famille avaient tous très peur de cette action et de ses conséquences ».

© EAPPI / I. Hernes

« Finalement le troupeau est parti, s’arrêtant d’abord un peu sur le haut de la colline puis, petit à petit, les bergers ont osé laisser descendre les bêtes plus bas, vers l’avant-poste de la colonie de Givaat Salit, tout en veillant à ne dépasser aucune limite ».

            * Ta’ayush est une ONG israélienne qui réunit Israéliens et Palestiniens dans le but de mettre un terme à l’occupation et d’obtenir l’égalité civile complète par des actions concrètes non violentes.

 

©EAPPI / E. Mutschler

« Les réactions immédiates que Ta’ayush a l’habitude de voir dans de telles circonstances sont de violentes attaques verbales des colons et l’intervention des forces de sécurité privées de la colonie : l’occasion en quelque sorte d’entrer en dialogue avec eux pour leur rappeler qu’ils sont en situation illégale par rapport au droit   international (4e Convention de Genève, article 49) et qu’ils ne sont pas autorisés à aller sur cette terre, même au regard de la loi israélienne.

En-bas, le couple de colons nous observait et prenait des photos.

Une forte tension régnait et perturbait cette image bucolique de brebis paissant dans un paysage tranquille… et très vite Abu Rasmi et les bergers ont reconduit le troupeau au sommet de la colline puis au campement pour les faire boire.

Tout semblait calme, mais la famille qui avait fait preuve de beaucoup de courage le matin s’inquiétait déjà des éventuelles représailles. Une crainte confirmée l’après-midi même quand Abu Rasmi est retourné sur la colline avec le troupeau, seul cette fois-ci : un véhicule occupé par plusieurs colons attendait déjà au bas de la côte.Alors il a rebroussé chemin ».

 

Les jours suivants

« L’armée est entrée dans le campement deux ou trois fois par jour, la nuit aussi, sous des prétextes divers, ou sans prétexte du tout, simplement pour intimider la famille ».

 

27 septembre 2016, 8 heures du matin

« Seule la fille aînée d’Abu Rasmi est présente. L’armée israélienne envahit le campement et rase tout avec ses deux bulldozers : huit structures d’habitation, neuf abris pour animaux. Vingt-six personnes dont quatorze enfants se retrouvent sans abri ».

©EAPPI / E. Mutschler

Depuis…  

« De l’aide d’urgence a été apportée à la famille par diverses ONG, dont des tentes et des abris pour protéger les animaux du soleil. Des volontaires de Ta’ayush sont venus aider à récupérer ce qui pouvait servir à reconstruire un nouveau campement. Ici ou ailleurs ? La réflexion est en cours.

L’armée continue ses manèges d’intimidation : ils ne sont pas habitués à des actes de résistance dans la vallée du Jourdain, ni à l’intervention d’une ONG comme Ta’ayush qu’ils détestent. Ils veulent donc frapper fort. Et ce sont Abu Rasmi et sa famille qui en sont les victimes ».

 


© EAPPI / I. Hernes

Entre les 26 et 28 septembre 2016, les autorités israéliennes ont démoli 33 structures résidentielles et liées aux moyens de subsistance des familles dans plusieurs localités de la Zone C de la Cisjordanie occupée et de Jérusalem-Est, entraînant le déplacement de 35 personnes, dont plus d’un tiers d’enfants, et en affectant plus d’une centaine d’autres. Le motif invoqué est chaque fois l’absence de permis de construire.

Ces incidents ont eu lieu dans neuf communautés palestiniennes, y compris Khirbet Tell al Himma dans le nord de la vallée du Jourdain.

Ils portent le nombre total de structures détruites ou confisquées par les autorités israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis le début de 2016 à 878, ce qui implique une augmentation de 60% par rapport au chiffre de l’ensemble de l’année 2015 et représente le plus grand nombre de structures ciblées depuis 2008.

En raison d’un processus de planification discriminatoire et illégal, il est presque impossible pour les Palestiniens d’obtenir des permis de construire dans la grande majorité de la Zone C et de Jérusalem-Est. La destruction systématique des biens dans ce contexte, avec d’autres facteurs, constitue un moyen de pression pour les faire partir.

(Rapport publié le 28.09.2016 par le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies UNOCHA)

 

Le 3 octobre 2016,
Elisabeth Mutschler